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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/98

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tuosité et, plus prompt que l’éclair, dégringola tout d’un coup du côté sous le vent. Nous poussâmes tous à la fois un cri de détresse, mais les jambes déjà passées par-dessus bord il tenait bon et réclamait une corde à grands cris. En notre extrémité, rien ne pouvait guère nous sembler terrible : nous le jugeâmes comique gigotant là-bas avec sa face effarée. Quelqu’un se mit à rire et, comme infectés d’une contagion d’hystérique gaieté, tous ces naufragés hagards partirent d’un rire fou, pareils à une troupe d’aliénés rangés et liés contre un mur. M. Baker se laissant glisser de l’habitacle tendit une jambe à Belfast. Il regrimpa, bouleversé et nous vouant en termes atroces à tous les diables d’Erin. « Vous êtes… Hou ! vous êtes un sacré mal embouché, Craik », grogna M. Baker. Il répondit bégayant d’indignation : « Regardez-les, Sorr. Bougres de sales images ! à rigoler d’un copain à la mer. Et ça s’appelle des hommes ! » Mais du fronteau de dunette le maître d’équipage cria : « Par ici » et Belfast dare-dare s’en fut à quatre pattes. Les cinq hommes perchés, le cou tendu par-dessus le bord de la dunette, cherchaient à démêler le plus sûr chemin pour atteindre l’avant. Ils semblaient hésiter. Les autres retournés dans leurs amarrages, avec des contorsions pénibles, épiaient bouche bée. Le capitaine Allistoun ne voyait rien. Il semblait à la force du regard maintenir son navire à flot au prix d’une surhumaine concentration d’énergie. Le vent sifflait haut au soleil ; des colonnes d’écume y montaient très blanches et, dans le papillonnement des arcs-en-ciel épanouis en gerbe sur la coque harassée, les hommes descendirent, circonspects, disparaissant de notre vue avec des gestes délibérés.

Ils allèrent balancés de cabillot en taquet au-dessus des vagues qui fouettaient le pont à demi submergé.