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Page:Le Tour du monde - 01.djvu/52

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sociaux, et à la faveur de certaines garanties de repos et de bien être matériels.

Pas d’agriculture à Singapore. En dehors du commerce on s’occupe tout au plus de la préparation du sagou, importé de Sumatra. On peut admettre que tout le sagou du commerce, 80 000 tonnes environ, d’une valeur de 360 fl. (770 fr.) chacune, vient de Singapore.

Le commerce de Singapore se fait surtout avec la Grande-Bretagne, les Indes anglaises, la Nouvelle-Hollande, l’archipel de la Sonde, la Chine et la Cochinchine.

En 1854, on a constaté l’existence de 1719 comptoirs, magasins et entrepôts, représentant une valeur immobilière d’une vingtaine de millions de francs.

En 1855, 892 vaisseaux européens et 2513 barques indoues et jonques chinoises étaient entrés dans le port.

Les importations d’Europe consistent en tissus de laine et cotons, quincailleries diverses. — Les possessions anglaises livrent à la Chine l’opium et les cotonnades. — De la Chine arrivent en retour des porcelaines, de la soie, du thé, du camphre : de Malacca et des Philippines, du sucre, du café, du poivre, du riz, de l’étain, de l’antimoine, de l’écaille, de l’or et de la houille.

Singapore est un port libre dans toute l’acception du mot, ouvert aux drapeaux de toutes les nations, sans aucune distinction, et ses maisons de commerce appartiennent à des négociants professant les religions les plus diverses. Cette liberté illimitée a imprimé à Singapore une activité prodigieuse qui lui donne le caractère plutôt d’une colonie américaine que d’une ville de l’Asie.

La liberté de la presse est aussi étendue qu’on peut le désirer, et par suite le développement intellectuel est rapide. Les deux principaux journaux de Singapore seraient remarqués en Europe ; l’un est un journal hebdomadaire, Singapore free press, et l’autre une excellente revue mensuelle : Journal of the Indian Archipelago.

Le Singapore institute contient un musée d’histoire naturelle, avec bibliothèque et salon de lecture, et l’on y trouve les principaux journaux d’Europe.

Les monuments et les curiosités sont rares à Singapore. On y remarque toutefois un temple que les fidèles bouddhistes ont orné avec une rare magnificence.

Nous avons fait une charmante excursion 31 la Butte d’Étain (Boukit Timah), le plus haut sommet de l’île, situé a 175 mètres au-dessus de la mer, au milieu de collines ondulées et surmontées pour la plupart de villas dont les propriétaires sont Européens ; de ces sommets on jouit de très-belles vues sur la plaine. Cette promenade est du reste assez dangereuse pour les piétons isolés : d’un moment à l’autre ils peuvent y être assaillis par les tigres. Il y a six ou sept ans à peine on évaluait à 360 environ, par an, les hommes dévorés : depuis, ce nombre s’est réduit d’une centaine. On est obligé de supposer que les tigres traversent à la nage le détroit entre l’île et le continent, large d’un demi mille seulement. Pour les tuer, on attache une chèvre sur quelques roseaux recouvrant une fosse : une fois tombée dans le piège, la bête féroce est tuée à coups de fusil.

Nous avons visité la colonie pénitentiaire où se trouvent actuellement plus de deux mille forçats, hommes et femmes, déportés de tous les points de l’Inde anglaise. On les occupe à des travaux de bâtiment ou à la fabrication de câbles et de tissages divers. Ce sont eux qui ont construit tous les édifices publics de Singapore, églises, casernes, hôpitaux, bourse, dépôts de mendicité. Les prisonniers qui, pendant une captivité de seize années, se sont conduits de manière à contenter les geôliers et les chapelains, reçoivent un billet de congé, qui leur permet de séjourner dans l’île et de vaquer à leurs affaires, sous la seule condition de se présenter une fois par mois à la geôle.

Pour mon édification d’ethnologue, le gouverneur de la prison, le capitaine Mac Nair, eut l’obligeance de faire défiler devant moi, rangés par nationalité, une foule de ces malheureux ; et ce fut avec le plus vif intérêt que je passai en revue tous ces corps musculeux et ces figures énergiques de Chinois, Malabariens, Hindous, Lascars et métis, gens de tout poil et de toute couleur. Dans l’intérieur de la prison, ils sont répartis par catégories de crimes ; on traverse ainsi la division des voleurs, les salles des meurtriers, les dortoirs des pirates, etc. ; distribution fort curieuse pour un phrénologue. M. le gouverneur et M. le geôlier sont des fonctionnaires européens, nommés directement par le gouvernement, mais la presque totalité des agents subalternes sont des forçats promus au grades d’argousins et de surveillants. Dans cette visite, nécessairement superficielle, le bagne de Singapore m’apparut comme une cité dont les conditions hygiéniques sont excellentes, où vit une population active, énergique et industrieuse, soumise à des habitudes d’ordre et de régularité, administrée par un gouvernement très-fort et très-respecté, et offrant toutes les garanties qu’on cherche encore ailleurs.

J’eus l’occasion de faire l’agréable connaissance du grand négociant chinois Whampoa, qui s’occupe de l’approvisionnement des navires à Singapore, et qui nous a fourni immédiatement tout ce qui nous était nécessaire, mieux que nous n’aurions pu le faire en huit jours, dans tout autre port. M. Whampoa nous fit la politesse d’inviter quelques officiers de notre frégate à visiter sa maison de campagne, qui réunit le comfort anglais à l’élégance chinoise. Aux parois de son charmant salon étaient appendus des rouleaux de poésies chinoises, en petits cartons, jouant comme des plaques de persiennes. Les portes étaient rondes ou ovales, d’un délicieux effet. Je dois faire le plus grand éloge des vins d’Espagne, de Bourgogne et de Champagne qu’il nous servit à son excellent dîner. Son fils étudie à l’université d’Édimbourg, mais il garde sa queue chinoise sous son chapeau. La soirée que nous avons passée avec cet aimable Chinois ne sera pas un des moins intéressants épisodes de notre voyage.


JAVA[1].


Après un séjour d’une semaine à Singapore, nous partîmes pour Java, le paradis malais, et le 5 mai, une

  1. Île de la Sonde, située par 5° 32′8° 45′ lat. S. et par 102° 48′ — 112° long. E.