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Page:Le Tour du monde - 02.djvu/161

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Voyageurs yakoutes. — Dessin de Victor Adam d’après le comte de Rechberg.


VOYAGE AU PAYS DES YAKOUTES

(RUSSIE ASIATIQUE),


PAR OUVAROVSKI[1].
1830-1839
Le bonheur et le malheur marchent de front avec l’homme.
Le blé se change en farine lorsqu’on le moud.


Djigansk. — Mes premiers souvenirs. — Brigandages. — Le paysage de Djigansk. — Les habitants. — La pêche. — Si les poissons morts sont bons à manger. — La sorcière Agrippine.

Sur la rive gauche du grand fleuve la Léna, à cent kœs[2] de la ville de Yakoutsk[3], près de la mer de glace, se trouve Djigansk[4]. C’est là que résidait mon père, en qualité de chef du cercle ; c’est la que je suis né.

Lorsque Djigansk perdit son titre de cité, mon père dut retourner à Yakoutsk ; je n’avais alors que quatre ou cinq ans. À cet âge la mémoire d’un enfant est peu développée : il me reste toutefois quelques souvenirs de ce

  1. Le livre curieux dont nous donnons ici la traduction est à la fois une biographie et une relation de voyage. Son titre est littéralement : Uvariskai akhtyta, etc. : Souvenirs d’Ouvarovski, écrits par lui-même en yakoute, et publiés par Otto Bœhtlingk, avec les Voyages du Dr A. T. von Middendorf dans l’extrême Nord et la Sibérie orientale (Reise in den æussersten Norden und Osten Sibériens), Saint-Pétersbourg, in-4, t. I, part. I.

    Le récit d’Ouvarovski est précédé d’une dédicace dont voici le début et la fin : « Au gracieux Otto Nicolaïevitch [Bœhtlingk]. — T’occupant d’étudier les langues de divers peuples, tu vins me trouver au mois de mars (1847), et après m’avoir informé que tu te proposais d’écrire sur l’idiome des Yakoutes, tu me demandas mon concours pour ce travail… ; tu me demandas aussi des mémoires en yakoute sur mon origine, ma naissance et ma vie. Ta bienveillance à mon égard me faisait un devoir d’accomplir ton désir. J’ai composé dans cette vue les souvenirs que tu recevras avec cette lettre.

    « Je suis convaincu de l’inutilité de cet écrit ; tu le liras bien pour donner un exemple, mais personne ne t’imitera. Ce travail n’en était pas moins difficile : car auparavant aucun livre n’avait été composé en yakoute ; il n’existait en cette langue qu’un traité religieux, appelé catéchisme, encore n’était-ce qu’une mauvaise traduction du russe. Je me félicite d’être le premier qui ait écrit dans la langue de mes chers Yakoutes. »

    Le voyage d’Ouvarovski doit avoir eu lieu de 1830 a 1839, ainsi qu’il ressort du rapprochement de diverses dates disséminées à travers sa relation. Il écrivait en 1847, et il y avait huit ans qu’il habitait Saint-Pétersbourg ; c’était donc en 1839 qu’il avait quitté la Sibérie, au retour de sa seconde mission dans les districts d’Oudskoï. Ses voyages avaient duré neuf ans ; c’est ce qu’il appelle ses neuf années d’épreuves et de malheur. Il avait parcouru tout le pays des Yakoutes et des Tongouses. Ceux qui ont visité cette contrée, avant ou après lui, ont mis tout au plus quelques mois à la traverser, courant en poste sur les routes ou remontant les fleuves. Ouvarovski, au contraire, a été forcé, en qualité de collecteur d’impôts, de parcourir divers districts dans tous les sens ; d’aller chercher les nomades au fond des déserts, et d’étudier leur industrie.

  2. Le kœs ordinaire correspond à peu près au myriamètre ; il vaut dix verstes, c’est-à-dire dix fois mille soixante-six mètres. Le kœs d’un piéton est de sept à huit verstes, et le kœs d’un cheval au trot est de treize à quatorze verstes. (Note du traducteur.)
  3. En yakoute Djokouskaï.
  4. Ou Shigansk, en yakoute Ædjigæn.