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Page:Le Tour du monde - 02.djvu/168

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qui ils donnent en échange des denrées surfaites. De là, toute sorte de vexations et de fraudes, qui causaient la ruine des habitants du cercle d’Oudskoï. Ces circonstances, ainsi que diverses autres affaires compliquées, nécessitèrent l’envoi d’un commissaire à Oudskoï : ce fut moi que l’on choisit pour cette mission.

Deux mois avant mon départ, je fus chargé de beaucoup d’écritures ; cette besogne et les préparatifs de mon voyage furent le commencement des fatigues infinies que j’eus à supporter pendant un an et demi dans le cours de ma lointaine expédition.

Mes bagages se composaient de trois costumes d’hiver, de quatre costumes d’été, de sucre, de thé, de biscuits russes, de viandes, de poudre, de plomb, d’armes, d’un peu de rhum, d’eau-de-vie, de beurre russe et yakoute : le tout emballé dans des sacs de cuir du poids de cent livres, ou dans des caisses de bois et d’écorce de bouleau.

Lorsque les ballots furent enveloppés de telle façon que l’eau n’y pût pénétrer, on en attacha plusieurs ensemble avec de fortes courroies de cuir, de manière pourtant que la charge d’un cheval n’excédât pas deux cents livres.

On était déjà en février, et le froid n’en était pas moins rigoureux. Le liquide avec lequel les Russes mesurent la température[1] était au-dessous du chiffre trente lorsque je quittai Yakoutsk avec les deux cosaques qu’on avait mis sous mes ordres. Monté dans un traîneau attelé de deux chevaux, j’allai jusqu’à Amga, qui est éloigné de vingt kœs. Là, après avoir chargé nos bagages sur le dos de sept bêtes de somme, qui étaient toutes prêtes, nous montâmes à cheval et nous continuâmes notre route sous la conduite de deux guides.

Comme les chevaux étaient trop gras et impatients du joug, ils se débarrassaient sans cesse de leur fardeau. Pour ce motif, nous jugeâmes à propos de les ménager le premier jour, et après avoir parcouru trois kœs, nous fîmes halte dans un lieu où nous voulions passer la nuit.

Bazar de Nertchinsk. — Dessin de Victor Adam d’après le comte de Rechberg.

Les conducteurs commencèrent par décharger les bêtes de somme, puis ils détournèrent avec des pelles la neige qui couvrait le sol, et ramassèrent du bois sec pour allumer du feu. Ensuite ils remplirent de neige la bouilloire à thé et une grosse marmite, et les mirent bouillir devant le brasier.

Lorsque la chaleur du thé nous eut réchauffé le sang, les guides s’occupèrent de préparer nos lits ; ils amassèrent de petites branches d’arbre qu’ils mirent en tas,

    et une école des mines. La contrée est fameuse par ses mines de plomb, qui rendent annuellement sept cent mille kilogrammes de plomb argentifère, dont on extrait quatre mille kilogrammes d’argent ; elle a aussi des mines d’or, de mercure, d’étain, qui sont également exploitées, au compte du gouvernement, par les déportés et les forçats.

    Le sort de ces condamnés, dit le voyageur M. A. Castrén, est plus supportable qu’on ne le croit généralement. Le gouvernement alloue aux simples convicts deux pounds (quarante kilogrammes) de farine et huit francs par mois ; ceux qui ont un métier, comme les menuisiers, forgerons, scieurs de long, tailleurs de pierre, reçoivent, outre la provision ordinaire de farine, quinze kopecks (soixante centimes) de salaire par jour de travail. Les ouvriers sont tenus de pourvoir eux-mêmes à leur entretien et à leur logement ; la subvention de l’État est naturellement insuffisante, mais les hommes laborieux et rangés trouvent presque toujours à faire de petits profits accessoires. Les mieux partagés sous ce rapport sont les mineurs, qui, d’après les règlements, peuvent disposer à leur gré d’une semaine sur quatre. Quant aux artisans, ils ont chaque jour à faire une certaine tâche, après quoi ils font tel usage que bon leur semble du temps qu’ils ont de reste. Dès leur arrivée à Nertchinsk, les forçats sont délivrés de leurs chaînes et mis en liberté : ils ne sont plus qu’esclaves de leur besogne. Ceux qui ont mené une vie honnête pendant vingt ans sont exemptés de travail et jouissent des priviléges des déportés, entre autres du droit de cultiver la terre sans payer d’impôt ; mais les condamnés, qui se rendent coupables d’un nouveau crime ou d’un grave délit, sont astreints à travailler un certain temps dans les fers.

    (Nordiska resor och forskningar, Voyages au Nord et études septentrionales, t. II, Helsingfors, 1855, p. 415, 416.)

  1. Le thermomètre de Réaumur.