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Page:Le Tour du monde - 05.djvu/150

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qu’on lance en soufflant dans la sarbacane ; — la pique ordinaire et enfin le trident pour percer les poissons.

En résumé, quant au caractère, les Ot-Danoms ont moins de loyauté que les Niadjous, et sont plus grossiers et dissolus. Avides au plus haut degré, ils se livrent à toutes sortes de concussions. Tel était, comme je l’ai déjà dit, mon hôte, le tomonggong Toundan.

Je ne fus pas fâché de quitter ce chef rapace et injuste. Mais au moment de mon départ, il s’éleva une grave difficulté qui me retint plusieurs jours au balai tomoi ou caravansérail de Pohon-Batou. Lorsque j’eus exposé à Toundan mon plan de voyage et demandé quinze hommes pour m’aider à gagner par terre les rives du Roungan, il me fit toutes sortes d’objections et conclut par un refus. J’eus beau lui rappeler ses promesses et lui représenter combien mes prétentions étaient modérées, je n’obtins rien, et je dus me résoudre à renvoyer à Bandjermasing, avec nos embarcations, tout ce qui ne nous était pas indispensable. Nous nous mîmes à répartir nos bagages et nos provisions en colis de la charge d’un homme, et lorsque nous eûmes emballé le strict nécessaire, il se trouva qu’il fallait vingt-huit porteurs. Je n’en avais que dix-huit, et je ne pouvais partir à moins que Toundan ne mît dix hommes à ma disposition. Vers le soir, une visite que me firent ses femmes et ses filles, en m’apportant quelques poulets et des fruits, me donna lieu d’espérer que le tomonggong s’adoucirait et finirait par satisfaire à ma demande.

Effectivement, le 15 décembre, à neuf heures, j’eus la satisfaction de pouvoir me séparer de Toundan et des siens. À l’embouchure de la rivière Halelet, je tournai le dos au Kahayan, et je me dirigeai vers le Roungan. Le Halelet qui, pendant les grandes eaux, est navigable jusqu’à une certaine distance pour les prahous de grandeur moyenne, était alors à sec, de sorte que nous fûmes obligés de commencer immédiatement notre voyage à pied. Nous eûmes à gravir des collines, à descendre dans des vallées, à franchir une multitude de petits affluents de ce cours d’eau, jusqu’à ce que nous eussions atteint ses sources. Les pentes deviennent alors plus roides, mais elles ne sont pas assez hautes pour mériter le nom de montagnes. Nous vîmes beaucoup de huttes et de maisonnettes isolées ou formant de petits hameaux ; toutes ces habitations ne sont élevées que temporairement pour la culture du riz ou l’exploitation des mines d’or. Les champs cultivés et les broussailles se succédaient sur le penchant des collines ; mais nulle haute forêt ne donnait de la variété à ce paysage.

En suivant les bords du Tahoyan, affluent du Roungan, qui serpente entre des collines aux contours arrondis, nous arrivâmes à une large et belle vallée, où s’élève le kotta Hantapan, sur la rive droite du Tahoyan. Il n’a pas son pareil, pour la beauté et la régularité, sur les rives du Kahayan ou du Roungan.

Quand vint le soir je fus subitement saisi d’une fièvre qui dura une grande partie de la nuit et m’affaiblit tellement que je fus obligé de me reposer toute la journée du 17 décembre.

Le 18, quoique je ne fusse pas encore bien guéri, je voulus continuer mon voyage. Je m’embarquai avec deux rameurs dans un canot, et je descendis le Tahoyan, qui, comme toutes les rivières des pays montueux, est obstrué de rochers, de bancs de sable, de souches d’arbres embourbées dans le lit ou suspendues à la rive. J’eus à franchir plusieurs cataractes, dont la plus importante, celle de Sambarou, est si dangereuse, qu’il fallut décharger la barque et la traîner le long du rivage, pour la remettre à l’eau plus bas. À cet endroit, le sentier qui mène au Roungan cesse de côtoyer la rivière, et mes gens, qui m’avaient suivi à pied, se séparèrent alors de moi pour aller m’attendre au kampong de Menihan.

Je descendis le Rouugan jusqu’à Kotta-Menihan, où la fièvre me retint deux jours. Je réussis enfin à me guérir, et le 21 décembre, je fus en état de poursuivre mon voyage ; mais j’étais si faible, que je dus abandonner le projet de gagner par terre les rives du Menohing. Je pris le parti de descendre en barque jusqu’au confluent de cette rivière avec le Roungan, puis de la remonter jusqu’à l’endroit où passe le chemin, qui conduit au Kahayan.

Le 23 décembre, j’atteignis l’embouchure du Menohing. Le fleuve, à cet endroit, ne le cède pas en largeur au Koungan, mais bientôt il est plus étroit et ses rives sont plus élevées. À mesure que le sol devient plus ferme, les bois épais qui couvrent les contrées marécageuses deviennent plus rares : les colons y ont fait de larges trouées, et l’on découvre, entre les sombres fourrés, des places cultivées et des habitations humaines entourées d’arbres fruitiers. Sur la rive droite de la rivière, je m’arrêtai vers les ruines d’un grand benteng (village fortifié), situé au milieu d’une campagne fertile et ombragé d’une multitude de cocotiers et d’autres arbres fruitiers. On m’apprit qu’il avait été abandonné à la suite d’une terrible épidémie qui avait enlevé la plupart des habitants. Il y avait, en effet, autour du kampong, une grande quantité de cercueils placés sur des pieux : on apercevait les squelettes blanchis, à travers les trous de quelques-uns de ces cercueils endommagés par le temps. J’avançai la main par l’une des ouvertures pour y prendre un crâne, mais aussitôt de petits cris aigus se firent entendre, et la surprise me fit reculer de quelques pas : c’étaient des chauves-souris que j’avais réveillées et qui s’échappaient en foule de leur retraite.

Le 25 décembre, je retrouvai à Tampat-Tomoi tous ceux que j’avais laissés à Menihan. Quelques jours après je rentrais dans les établissements néerlandais.

Traduit du hollandais par E. Beauvois.