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Page:Le Tour du monde - 05.djvu/173

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grination souterraine, plus noirs que des ramoneurs qui descendent d’une cheminée, nous revîmes le soleil radieux, heureux de jouir du jour pur et de l’air.

Adolphe nous croyait perdus : il avait, me dit-il, marmotté de ferventes prières pour que je revinsse au moins seul.

« Si nous nous étions égarés, lui répondis-je en riant, comme je ne suis pas plus sorcier que Maugrabin, j’aurais eu bien moins de chance de me retrouver que mes compagnons, surtout le guide. »

Nous repartîmes. Par intervalles, nous entendions de nouveau, et d’une manière très-sensible, résonner sous le pas des ânes le même bruit sourd, caverneux, qui nous avait déjà frappés et qui indiquait clairement que nous étions au-dessus d’une voûte épaisse. Il paraît certain que ces montagnes sont percées de souterrains qui se prolongent dans ce sens. Est-ce une indication que l’entrée primitive des grottes se trouvait aussi de ce côté, c’est-à-dire vers le Nil ? De si longs souterrains, destinés à un si grand nombre de momies, devaient avoir un accès plus facile. Il est probable aussi qu’ils étaient précédés de quelque grande chambre qui servait aux cérémonies et d’où les couloirs rayonnaient dans des directions diverses. Mais d’où venaient tous ces morts ? Vraisemblablement de la ville antique qu’a remplacée Montfalout ! et de la grande Hermopolis, toutes deux situées sur la rive gauche du Nil. Ensevelissait-on pêle-mêle dans ces excavations les citoyens de toutes les castes ? Les prêtres et les nobles de l’ancienne Égypte aimaient la grandeur jusque dans la mort, et ils voulaient sommeiller, en attendant leur réveil, dans des tombeaux spacieux, décorés de bas-reliefs et de peintures représentant ce qu’ils avaient le plus aimé pendant leur vie. Il se pourrait que les grottes de Samoun n’eussent été que la fosse commune de la plèbe. Cependant les dorures que j’ai vues aux pieds et aux mains de plusieurs momies rendent cette supposition au moins douteuse.

Les grottes de Samoun échappent souvent à la curiosité des voyageurs. Beaucoup n’en connaissent pas le nom ; d’autres trouvent l’exploration trop pénible et trop funèbre. Les Arabes eux-mêmes ne se soucient guère d’aller plus loin que là où nous nous arrêtâmes. La plupart des visiteurs, nous dit le guide, sont bientôt pris d’un tel sentiment d’inquiétude et d’appréhension qu’ils rétrogradent : quelques-uns s’accrochent aux vêtements de l’Arabe qui les précède. Cependant j’ai vu sur ces noires parois, près du chantier des momies, parmi quelques noms, celui d’une dame romaine gravé avec soin et en gros caractères.

J’étais le quatrième voyageur qui eût pénétré dans les grottes en 1860, et on touchait à la fin de la saison de navigation.

Au retour, je trouvai plus de charme encore au panorama qui se déroulait au loin jusqu’aux montagnes Lybiques baignées dans un lumineux horizon. Des bandes nombreuses de flamants blancs et roses, aux ailes frangées de noir, volaient dans la plaine. Nous revînmes à travers les villages, les champs et les troupeaux.

En arrivant à Siout, j’éprouvai un bien-être indicible à me plonger, tout imprégné de bitume, dans les eaux tièdes et bienfaisantes du fleuve, large comme un bras de mer.

A. Georges.




L’AFRIQUE INCONNUE,

1860-1862
PAR G. LEJEAN.

Il est assez curieux d’étudier ces courants de curiosité savante, qui précipitent, pendant certaines périodes, vers certains points donnés, l’activité des explorateurs et l’intérêt du public entier. Pendant longtemps, c’est l’Amérique qui a été « cette actualité » (le mot n’était pas encore inventé) ; plus tard, c’est l’Océanie ; depuis quarante ans, c’est l’Afrique. Certes, sur d’autres points du monde nous assistons à des découvertes ou à des tentatives dignes de concentrer l’attention ; pour ne parler que du fleuve Amour (ce pauvre fleuve géant que nos écrivains s’ingénient à nommer Amur ou Amoor, pour éviter d’inoffensives plaisanteries et le voisinage de la carte du Tendre), n’est-ce pas un spectacle assez original, un peu comique même, de voir la Russie, après avoir tissé dans l’ombre sa toile savante et industrieuse sur presque tout le parcours de ce grand fleuve, jeter tout à coup une lumière immense sur cette belle conquête qui honore autant les savants que les diplomates, et lancer d’une seule fois dans la circulation une masse de découvertes capables d’illustrer dix voyageurs ?

Et cependant, la vogue est à l’Afrique. Il serait trop long d’en exposer les motifs, mystères encore à dévoiler, prestige des grands noms, nature violente et meurtrière où l’homme n’est pas seul à créer le drame, et quels drames ! Et malgré l’attrait qui jette chaque année dix ou douze hommes résolus en pâture au sphinx veillant à la porte du désert, il faudra encore bien des années et bien des victimes avant qu’on reconnaisse les traits généraux de cette géographie bizarre, irrégulière et comme déhanchée.

Depuis le beau voyage de Livingstone qui nous a révélé tant de choses sur les magnifiques régions d’où sort le Zambèse, le domaine de l’inconnu s’est trouvé, en Afrique, circonscrit de moitié. Il n’y a aujourd’hui qu’un