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Page:Le Tour du monde - 05.djvu/175

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Polyglotta, M. Petermann regarde le Nen comme identique à la Tchadda, et place le pays de Param vers le Korrorofa ; mais il suffit de comparer les huit ou dix passages où il est question de ce fleuve, pour reconnaître : 1o que le Nen, le Deba, le Riba sont un seul et même fleuve ; 2o que ce fleuve coule de l’ouest à l’est ; 3o qu’il va finir dans un grand lac. Il s’agit donc ici d’un bassin central bien distinct, à moins que le lac n’ait un déversoir, ce dont il n’est fait mention nulle part.

Param a pour capitale Bepot, à une heure de Nen, comme je l’ai dit. Dans ce pays, les hommes seuls ont des vêtements, les femmes sont absolument nues. Il y a une trentaine d’années, les Tebale (Peulhs) envahirent la contrée et y commirent les excès les plus affreux : ils arrachèrent les yeux aux hommes et les lâchèrent ensuite, éventrèrent les femmes enceintes, saisirent les petits enfants par les jambes et leur brisèrent la tête contre des arbres, firent un grand feu et y jetèrent vivants quatre cents enfants de la famille du roi et des autres grandes familles du pays. « Ah ! concluait l’informateur de M. Kœlle, Nyamsi de Bepot, l’homme noir est bien méchant, pour vrai : l’homme blanc ne sait point combien l’homme noir est méchant ! »

Les principales contrées du bassin de Deba sont, outre l’empire de Mom, dont nous parlerons plus loin, le Bayon et le Rufuma.

Bayon est un grand pays qui tire son nom d’un roi puissant nommé Ion, dont la capitale, nommée Pati, est si grande qu’il faut une journée pour la traverser. La ville n’est plus qu’une ruine depuis que les Tebale l’ont prise. La chose arriva un peu avant le lever du jour : la place fut détruite par le feu, et la population se sauva dans toutes les directions. L’informateur de M. Kœlle, qui se nommait Ion, s’enfuit avec beaucoup d’autres, au pays de Paza, où il fut réduit en esclavage.

La ville et le district de Pati sont à une journée de la rivière Nen, qui les sépare des districts de Palen et Paketu, lesquels parlent une langue différente : les pays de Papak à l’ouest et de Pamban au nord parlent, au contraire, la langue bayon. Les Bayon sont anthropophages en temps de guerre, mais à part cela, ils jouissent d’une certaine civilisation.

En descendant le fleuve, à quatre semaines de marche à l’est de Pati, on arrive à la contrée des Rufuma ou Lufuma, peuple de belle taille, vigoureux et guerrier, vêtu de peaux de singes noirs, et combattant armés d’épées, de lances et de flèches. Ils sont aussi cannibales à la guerre. Le roi Ion, dont on a parlé plus haut, leur fut envoyé en ambassade et leur apporta un présent de sel.

Ils habitent les bords du beau lac Liba ou Riba, si vaste que nul homme n’en peut voir la fin. Le limon de ce lac passe pour une friandise recherchée : on le recueille dans de longs bambous creux qu’on enfonce dans l’eau.

Le lac Riba est-il un des quatre grands lacs de la chaîne Nyanza, reconnue l’an dernier ? Le nom de Rufuma, que porte une des rivières de la côte occidentale d’Afrique, tendrait à le faire supposer : mais les lacs Ukéréoué et Ujiji ne paraissent recevoir aucune rivière importante, et les deux autres lacs sont situés à des distances qui ne concordent point avec les données de la Polyglotta. Je fais grâce au lecteur des calculs qui m’autorisent, jusqu’à découvertes postérieures, à faire un cinquième lac de Riba.

Sur la rive du même lac habite un peuple de nains appelés Kenkob. Ils ont trois ou quatre pieds de haut, sont paisibles, timides, vivent du produit de leur chasse, et ont un si bon naturel, « que si l’un d’eux, par exemple, a tué un éléphant, il le donne tout entier aux autres. » Le nègre Sise, du pays de Bagba, parla au révérend d’un peuple appelé Betsan, qui demeure sur les bords du fleuve Riba et n’a que trois à cinq pieds (anglais) de haut. Les Betsan sont d’excellents chasseurs et vivent du produit de leur chasse, qu’ils échangent contre le millet de leurs voisins les Rufuma. Ils sont très-pacifiques, et ne font jamais la guerre. Ils s’habillent de l’écorce de l’arbre njor, en la battant, l’aplatissant et la faisant sécher. Ils ne cultivent point la terre, et changent de résidence toutes les six ou toutes les douze lieues ; leurs maisons, faites d’écorces, sont très-aisées à transporter.


Depuis que ces lignes sont écrites, les limites de l’Afrique inconnue se sont rétrécies sur plusieurs points. Le Gabon, malgré son insalubrité et l’état barbare de ses populations, a été un point de départ pour des explorations hardies. Un jeune lieutenant de vaisseau, M. Braouézec, a réussi à visiter tous les affluents du Gabon, et ses notes de voyage (qui seront, nous l’espérons bien, suivies d’une publication de plus longue haleine) ont tranché le problème dont nous avons parlé plus haut et donné raison à nos prévisions. Le Gabon est un petit golfe et rien de plus. Le très-curieux voyage de M. Duchaillu, mais dont la valeur scientifique est très-contestée, ajouterait, selon lui, à nos connaissances celle d’une zone de près de cent lieues de profondeur dans l’intérieur, et de quelques fleuves assez importants. À l’extrémité opposée du Soudan, l’excursion de M. Petherich, celle de M. Castel-Bolognesi jusqu’à la frontière des Nyamnyam, dont le Tour du Monde publiera prochainement la narration, notre voyage au Bahr-el-Gazal et l’importante carte dressée par M. Jules Poncet pour les mêmes régions ont dévoilé au public européen une autre zone qui atteint, ou peu s’en faut, le vingtième degré de longitude (est de Paris). Une carte spéciale que nous publierons prochainement permettra à nos lecteurs de saisir d’un coup d’œil cet ensemble de découvertes bien plus facilement que les explications les plus développées.

G. Lejean.