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Page:Le Tour du monde - 06.djvu/179

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un trait de ressemblance que je livre aux poëtes de la Ludwigsstrasse.

Avec tout cela, Munich pouvait rester obscur. Une autre circonstance acheva sa fortune.

Quand la grande maison ducale des Welfs s’écroula, Ratisbonne rejeta le coûteux honneur d’être la capitale du duché, et se fit cité impériale, ce qui voulait dire ville libre et république à peu près souveraine. Les ducs se résignèrent à résider là où il ne se trouvait ni évêque pour leur disputer le pas, ni bourgeois pour leur fermer la porte au nez. Ils vinrent à Munich. Un d’eux nommé empereur, Louis V, lui accorda des priviléges et y éleva des constructions qu’on voit encore. Aussi ce pauvre césar, qui fait dans l’histoire assez triste figure, y est-il célébré, en vers et en prose, à l’huile et à la détrempe, comme un grand homme. Sigismond y fonda vers 1488 sa lourde cathédrale ; Guillaume III, un palais qu’il mit à côté du couvent des Jésuites, pour être plus près de ces bons Pères, et par derrière, comme il convenait à un prince du seizième siècle de s’effacer devant ces puissants personnages ; Maximilien Ier, celui de la guerre de Trente ans, bâtit la Résidence ; Maximilien IV, le faubourg qui porte son nom et où son fils le roi Louis a élevé tous ces édifices dont Munich est si fier, qu’il a décorés de colonnes, de frontons et de statues, mais aussi de fort vilains noms, la Glyptothèque, la Pinacothèque[1], etc.

L’Ermitage, à l’ancienne Résidence, à Munich.

C’est une curieuse histoire que celle de ce roi Louis : amoureux d’art, de poésie, de musique, il chercha le beau sous toutes les formes, il l’étudia à Rome et dans les coulisses de l’Opéra ; il couvrit Munich de monuments et Lola Montès d’une couronne comtale. Il fit des vers, des comédies, des chemins de fer et des canaux, surtout des temples grecs. Il fit même une révolution, ou du moins la laissa faire, abdiqua en faveur de son fils, et, comme un autre vert-galant de notre histoire, est resté, malgré toutes ses fredaines, très-populaire. Munich raffole de lui et trouve que son nouveau roi est trop sage.

C’est que tant qu’il fut là on tailla la pierre, on coula le bronze et on broya de la couleur à Munich comme il ne s’était jamais vu dans aucune ville du monde. Sa liste civile dépassait à peine six millions de francs ; mais il usa de tant d’économie dans ses autres dépenses, une seule exceptée, disent les mauvaises langues, celle qui amenait souvent un nouveau portrait dans une galerie déjà longue ; il mit tant d’ordre dans ses comptes et de surveillance personnelle dans les travaux[2] ; il eut si peu d’administrateurs et tant de bons ouvriers qu’il vint à bout en vingt-trois années de règne de transformer sa capitale. Les princes, les grands seigneurs qui son encore nombreux et riches en Bavière, le corps municipal et les particuliers firent comme le roi.

Tout le monde était content. Les ouvriers avaient de la besogne à faire, les bourgeois des chefs-d’œuvre à admirer. D’abord, étonnés de ce remue-ménage dans leur ville endormie, ils y avaient pris goût. Chaque matin on

    dans son Itinéraire d’Antonin, p. 236, met sur l’emplacement de Munich une station romaine du nom de Zsunisca, dont on croit avoir suivi les diverses transformations : vers 780, Sunihinga; plus tard, Munihiringa, et Munihha. Le monastère de Wessobrunn possédait des terres en cet endroit dès l’année 900, et nous avons un document où l’abbé de Tegernsée et Véglise de Freising se disputent la dîme des terres à Gmund, Vöhring et Munich.

  1. Il y a pourtant une Pinacotheca à Bologne, et nous sommes habitués au mot de bibliothèque, qui est de même formation.
  2. Un de mes amis visitait l’église Saint-Louis et était monté sur les échafauds, lorsqu’on frappa à la porte. C’était le roi qui venait tout seul voir les ouvriers, les artistes et les travaux. Chaque semaine, il contrôlait l’état des dépenses et ordonnançait le payement des sommes dues. Pour simplifier les rouages, les architectes étaient en même temps les administrateurs. Ils choisissaient les entrepreneurs sur soumissions cachetées, et ils traitaient de gré à gré avec les sculpteurs et les peintres. Le roi n’arrivait qu’ensuite pour les gratifications.