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Page:Le Tour du monde - 08.djvu/294

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l’empire d’Annam, il est probable qu’aujourd’hui la dernière heure aurait sonné pour le petit royaume de Cambodge, dont la destinée peu douteuse est de s’éteindre et d’être assimilé aux peuples voisins.

Toutes les habitations construites sur les bords de cette petite rivière sont entourées de belles plantations de bananiers, et perdues au milieu de leur feuillage rubanné et de la verdure intense de superbes manguiers.

La majorité de la population de Battambâng est cambodgienne ; les cultivateurs ont leurs rizières derrière leurs demeures ; et quoique soumis à l’étranger depuis près d’un siècle, ils ont conservé les mœurs et les usages de leur pays, et le gouvernement actuel, par une politique habile, leur laisse toute la liberté qui règne au Cambodge, et les exempte des impôts et des taxes qui ruinent les autres provinces. Cette faveur crée une prospérité relative à Battambâng, dont les habitants jouissent d’un certain bien-être qui apparaît au premier abord. La vie y est d’un bon marché extraordinaire. La ville actuelle ne date que de l’époque de la prise de la province par les Siamois ; l’ancienne ville était située à trois lieues plus à l’est, sur le bord de la rivière que l’on a barrée et détournée de son cours.

Tous les anciens habitants ont été alors conduits au Siam et au Laos, de sorte que la nouvelle population s’est formée de gens venus de Penom-Penh, de Udong et d’autres points du Cambodge.

Quelle que soit leur origine, les Battambonais sont de vrais Siamois par leur amour pour le jeu et les amusements les plus puérils. Ils sont passionnés surtout pour les courses de chevaux qui ont lieu chaque année, et dans lesquelles on engage des paris qui montent parfois jusqu’à onze naines (près de 1 100 fr.), somme assez considérable pour ce pays. On trouve là des poneys d’une vélocité extraordinaire et que l’on recherche pour la chasse aux daims et aux buffles. Lancés dans la plaine, ils devancent les animaux sauvages les plus rapides à la course, ce qui permet aux chasseurs de les tuer à coups de pique. Pour les combats de coqs et de tortues, il se fait aussi des paris considérables. Ces derniers sont très-curieux : deux tortues sont placées entre deux planches resserrées dans un étroit espace ; une autre planche les sépare, de manière à ce qu’en s’avançant en même temps vers la seule sortie qu’on leur ménage, ce ne soit que par le recul de l’une d’elles que l’autre puisse sortir de la cage. On fait alors sur leur carapace un petit foyer d’argile, on prend du charbon que l’on divise en deux parties très-égales, on le place allumé sur le dos des animaux en l’attisant avec un éventail. Dès que la chaleur commence à pénétrer les chairs, les pauvres bêtes font tous leurs efforts pour s’évader et se pressent vers l’ouverture jusqu’à ce que la plus faible, épuisée par ses efforts, finisse par céder.

La province de Battambâng est semée de ruines d’une époque inconnue. Elles forment tout autour de l’extrémité septentrionale du grand lac un demi-cercle immense. Commençant aux sources de la petite rivière de Battambâng, il se prolonge et se perd dans les forêts désertes qui se déroulent à l’est, entre le Touli-Sap et le Mékong. Sur tout ce parcours, le voyageur rencontre à chaque pas les vestiges irrécusables d’un empire écroulé et d’une civilisation disparue.

Dans le voisinage même de Battambâng se trouvent les monuments de Bassette, de Banone et de Wat-Ék.

Nous avons visité Bassette à deux reprises, avant d’aller à Ongkor et à notre retour ; mais tout ce que nous avons pu en rapporter est le dessin d’un bas-relief parfaitement conservé et sculpté sur un bloc de grès de un mètre cinquante centimètres de long, qui forme le dessus de la porte d’une tour en briques.

Tout le monument a tellement été maltraité par le temps, que sa vue fait naître la pensée d’un ennemi jaloux qui se serait acharné à le dégrader et à le démolir. Une végétation excessivement touffue, repaire d’animaux redoutables, a tout envahi, et l’on peut à peine se figurer que la main de l’homme seul ait pu causer un bouleversement pareil à celui que l’on y remarque, et qu’un tremblement de terre n’y ait pas aussi contribué.

Des galeries ont disparu sous le sol ; on en voit des soubassements fragmentés et des dessus de porte à plus de deux mètres au-dessus du niveau du terrain actuel et de celui des parties du monument qui sont restées debout.

Le seul édifice dont la base soit encore plus ou moins intacte est un bâtiment de vingt-cinq mètres de long sur six de largeur, séparé en deux par un mur intérieur et dont les extrémités sont en forme de tour.

Il est tout en grès taillé ; l’extérieur offre des traces de belles sculptures sur des frontons de portes et des corniches d’un travail qui devait égaler ceux des plus antiques monuments d’Ongkor ; à l’intérieur, les murs sont nus, mais il n’est guère de pierre qui ne porte la marque des coups de pic et de marteau.

Les fenêtres étaient ornées de barreaux tournés dont il ne reste plus qu’un tronçon ou deux.

Les sujets représentés sur le dessus des portes des autres tours et des bâtiments écroulés sont d’abord un personnage à longue barbe, assis, portant une haute coiffure conique et les mains reposant sur la poignée d’un poignard ou placées l’une sur l’autre, un éléphant à quatre têtes et quelques autres figures de fantaisie.

Un peu au delà on remarque de magnifiques colonnes, les unes encore debout, les autres penchées ou renversées, des portes dont le sommet seul dépasse le sol, çà et là des monceaux de pierres taillées, des tours presque entièrement éboulées, des pans de murs de galeries, enfin un magnifique bassin à sec, de dix-huit mètres carrés, profond encore de deux mètres, et dont chaque côté forme des escaliers en concrétions ferrugineuses, qui occupent toute la largeur du réservoir.

La tradition fait de Bassette un palais de plaisance où les souverains du pays séjournaient de temps en temps.

Battambâng est d’origine assez récente ; il n’y a guère qu’un siècle qu’autour des ruines de Bassette se groupait encore une nombreuse population cambodgienne