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Page:Le Tour du monde - 08.djvu/420

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temps des pluies. Elles étaient à Gondokoro quelques semaines avant l’arrivée du capitaine Speke. Elles ont depuis organisé une nouvelle excursion, plus difficile et plus hasardeuse. Plusieurs voyageurs, actuellement présents dans ces contrées lointaines, entre autres M. de Heuglin et le Dr Stendrer, s’engagèrent avec empressement dans ce bataillon d’honneur. Mlle Tinné et ses volontaires marchent entourés d’une véritable flottille. Des barques chargées de provisions et d’objets d’échange accompagnent le petit vapeur qui porte le pavillon amiral. On a laissé le canal pratiqué du haut fleuve Blanc, pour se porter plus à l’ouest par le Bahr el-Ghazal. C’est là que les dernières nouvelles laissent la caravane, bien décidée à s’avancer dans cette direction aussi avant que possible.

« La saison est décidément bien avancée, écrivait du Bahr el-Ghazal, à la date du 21 mars dernier, la mère de miss Alexandrina, et il peut se faire que nous nous embourbions dans les pluies et la boue ; mais ne vous alarmez pas. Nous avons deux savants pour nous conduire, soixante-dix ou quatre-vingts soldats bien armés pour nous garder, — sans compter la renommée qui nous précède, et l’idée que c’est la fille du sultan qui voyage sur un vaisseau de feu ! »

Les deux savants de Mme Tinné ne l’ont pas suivie seulement en curieux ; là, comme partout, ils voyagent en observateurs. Mais, hélas ! des deux guides de l’expédition il n’en reste qu’un aujourd’hui ; au milieu de cette troupe pleine de courage et d’entrain, la mort a saisi sa proie. Le docteur Stendrer, attaqué par ce mal terrible qu’on nomme les fièvres paludéennes, véritable empoisonnement par les miasmes de l’atmosphère, a succombé le 10 avril, au moment où les voyageurs, sortis des marécages du Bahr el-Ghazal, allaient entrer dans une région plus élevée et moins insalubre. M. de Heuglin lui-même avait été fort éprouvé. Ses dernières lettres sont du 5 juillet ; il se regardait alors comme hors d’inquiétude. Mais les grandes pluies étaient arrivées, et le débordement des rivières ne permettait plus d’avancer. Il n’en faut pas moins attendre du zèle du voyageur d’importantes observations sur des contrées qui n’ont été vues jusqu’à présent que par les traitants de gomme et d’ivoire, dont les informations, en ce qui touche à la géographie, sont nécessairement vagues et fort imparfaites.


IV

Il est fort à regretter, assurément, que la mission organisée à Gotha, il y a trois ans, pour la recherche des traces de Vogel et la poursuite des explorations du Soudan, se soit dissoute et dispersée presque en touchant le sol d’Afrique, — montrant ainsi par un nouvel exemple, après l’entreprise avortée du comte d’Escayrac de Lauture, combien il est difficile de maintenir l’unité dans les éléments d’une expédition collective ; mais la mission allemande, malgré sa dissolution précoce, n’en aura pas moins marqué son passage par des travaux qui laisseront leur trace. M. de Heuglin, son premier chef, accompagné du naturaliste de l’expédition, le docteur Stendrer (celui-là même qui vient de succomber dans les marécages du Bahr el-Ghazal), après avoir revu une partie de l’Abyssinie, a étudié de nouveau[1] les territoires de la Haute-Nubie qui bordent au nord les derniers gradins du plateau abyssin ; et nous l’avons laissé tout à l’heure sur la flottille des dames Tinné, à l’entrée des pays inexplorés qui s’étendent au loin vers l’intérieur à l’ouest du haut fleuve Blanc. Son successeur dans la conduite de la mission, M. Werner Munzinger, avant de se diriger sur Khartoum et le Kordofan avec l’astronome Kinzelbach, avait aussi consacré une longue étude aux populations nubiennes limitrophes du Tigré, et à leurs territoires dans la direction de Souâkïn ; et il a pu dire sans présomption que ses courses dans le Baza (entre le haut Atbara et la mer Rouge) « avaient donné à la géographie une nouvelle terre, et à l’ethnographie un nouveau peuple. » Des déterminations astronomiques, de nombreux relevés, des vocabulaires, des études linguistiques, des informations de toute sorte, en un mot, sont sortis de ces investigations locales dont il n’y a de publié jusqu’à présent qu’une faible portion ; elles enrichiront singulièrement ce coin de la carte d’Afrique, où elles répondent en partie au royaume de Méroé des auteurs classiques.

À ces informations nouvelles on peut joindre dès à présent la riche moisson de renseignements que renferme la belle et savante relation des courses de feu M. le baron de Barnim dans le Senna’ar et la haute Nubie, que vient de publier son compagnon de voyage, le docteur Hartmann. Ce livre remarquable, qui est à la fois une œuvre d’art et de science, mériterait ici un espace que je ne puis lui donner ; mais sans doute le Tour du Monde le fera connaître à ses lecteurs d’une manière plus spéciale et tout à fait digne de la double importance de l’ouvrage. Disons enfin qu’à cette masse de précieux renseignements sur des pays à peine connus de nom il y a vingt-cinq ans, notre compatriote Guillaume Lejean a joint tout récemment sa part d’informations, recueillies avec l’intelligence et le zèle dont il a donné déjà tant de preuves.

Le nom de M. Lejean est bien connu de nos lecteurs. Nommé, l’année dernière, après son retour du fleuve Blanc, au poste d’agent consulaire en Abyssinie, il a pris la route de Khartoum pour se rendre à Gondar. Ses lettres, comme toujours, sont nourries de faits et pleines d’intéressants aperçus. L’une d’elles, imprimée au cahier de septembre du journal géographique du docteur Petermann[2], donne des indications nouvelles sur le cours de l’Atbara au voisinage de la source, et sur la vraie forme du grand lac Tzana, mal figuré sur nos meilleures cartes ; puis, avec son ardeur habituelle, le voyageur énumère une série de cour-

  1. M. de Heuglin avait déjà vu une partie de ces territoires peu connus, dans un premier voyage (1852) dont il a publié la relation sous le titre de Voyages dans le nord-est de l’Afrique (Reisen in Nord-Ost Afrika, 1867).
  2. Mittheilungen, 1863, no 9.