Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 08.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les ouvriers, celui qui a alimenté leurs lampes, enfin celui qui a été vicié par des coups de poudre. On n’a pas à craindre comme dans les mines de houille le gaz irrespirable et explosif qui se dégage de la surface du charbon. On se sert néanmoins quelquefois de machines spéciales pour renouveler l’air dans l’intérieur de la mine. Mais souvent aussi une ventilation naturelle suffit : l’air frais entre par les orifices les plus bas, puits ou galeries, s’échauffe dans la mine, et ressort par les puits les plus élevés, où il est appelé comme l’air chaud dans nos cheminées. Dans tous les cas, on règle la direction du courant d’air et sa proportion dans toutes les galeries de la mine, au moyen de portes, qui l’empêchent de prendre le chemin le plus court, et l’obligent à aller alimenter les points qui en ont le plus besoin.

Les lumières dont on se sert dans les mines du Harz sont des lampes de forme grecque ou romaine, que l’on garnit, avant de descendre, d’un monceau de suif pour les personnages distingués comme nous, ou d’huile pour les ouvriers ; même système d’éclairage pour les galeries solides et pour celles où l’on navigue, malgré tout le regret que peuvent en éprouver les amateurs du pittoresque.

Encore bien heureux d’avoir de pareilles lampes à flamme nue et bien éclairante ! dans les mines de houille la présence du gaz détonant oblige, comme l’on sait, à envelopper la flamme d’une toile métallique à mailles serrées, qui empêche la combustion de se propager au dehors, et la flamme permet à peine de voir clair à un pied de distance de cette triste lampe.


Clausthal, 5 août.

Je me suis, aussi bien que j’ai pu, renseigné sur la situation des ouvriers mineurs du Harz, et, sachant que cette question vous intéresse beaucoup, je vous adresse aujourd’hui quelques détails sur ce sujet.

Les ouvriers sont peu payés, bien que leur travail soit pénible et parfois dangereux : leur salaire est en général une petite fraction du salaire moyen en France ; et cependant il a reçu récemment une augmentation, premier changement fait depuis le commencement du siècle. Mais aussi les ouvriers trouvent à vivre à bon marché dans le pays : le gouvernement se charge de leur procurer toujours du pain à bas prix ; il leur fournit aussi toujours du travail ; leur avenir enfin est assuré en cas d’accident ou de maladie par des caisses de secours. Leur sort est pour ainsi dire fixé à l’avance depuis l’entrée jusqu’à la sortie de la vie. Enfants, ils travaillent dans les bocards, ou ateliers de préparation mécanique, à séparer les diverses substances minérales qui ont été extraites ensemble du sein de la terre ; puis, à mesure qu’ils grandissent et deviennent plus forts, ils passent à des travaux plus difficiles et mieux rétribués dans les mêmes ateliers ; ce n’est que lorsqu’ils sont tout à fait formés qu’on leur permet de descendre au fond de la mine.

Grâce à cette hiérarchie si régulière, l’ouvrier vit tranquille, sans souci du lendemain, et presque sans aspiration vers un sort meilleur : il suit la route tracée sans regret et sans initiative ; de là ses qualités et ses défauts : il est paisible et bon, mais peu sociable ; il se laisse aller volontiers à une rêverie silencieuse ; il ne connaît guère d’autre distraction que la fumée de sa longue et majestueuse pipe, assez indifférent à toute autre idée que le respect de ses traditions locales.

Le mineur cependant est instruit : il a appris dans la succession même des métiers par lesquels il a passé tout ce qui concerne l’art des mines ; il a été de bonne heure à l’école, et parle le bon allemand, quelquefois avec élégance. Le dimanche, on rencontre sur les routes tous les ouvriers, leurs femmes, leurs enfants, se rendant à l’église la plus voisine, et portant à la main leurs bibles ou leurs livres de psaumes, car tous savent lire. Ils sont essentiellement religieux, se réunissent chaque matin pour faire la prière en commun, avant de se disperser dans la mine, chacun à son poste. Ils ne manquent jamais, lorsqu’ils vous rencontrent dans leurs souterrains, de vous saluer du mot Glückauf, (abréviation de Glückliche Auffahrt, bon voyage ! ou plutôt heureuse ascension !), ni de vous adresser à la fin du repas le souhait de Gesegnete Mahlzeit (repas béni !). Ils sont profondément attachés à leurs dogmes, à leurs rites ; et dans ce moment même, le nouveau catéchisme que le gouvernement de Hanovre s’efforce d’introduire, soi disant pour régénérer la vraie doctrine de Luther, soulève de toutes parts de si vives protestations, que, sans nul doute, il faudra renoncer à cette tentative.


Andréasberg, 6 août.

Nous avons quitté hier Clausthal pour venir visiter à Andréasberg une mine d’argent très-célèbre, mais aujourd’hui épuisée, et qui ne conserve plus guère que le souvenir de sa vieille gloire ; elle a encore l’honneur, assez stérile du reste, de figurer en tête des mines les plus profondes du monde ; mais elle ne peut suffire aux besoins d’une usine située dans le voisinage, et, pour pouvoir garder en feu les fours de cette usine, on est obligé d’y amener, par Hambourg, des minerais venus d’Amérique : chose assez singulière pour un pays dont les abords sont si difficiles, et qui n’a même pas à invoquer en sa faveur le bas prix du combustible, car on va chercher en Westphalie le coke dont on a besoin.

Ce pays-ci est beaucoup plus joli que les environs immédiats de Clausthal : les ondulations du terrain y sont plus serrées et mieux marquées, les pentes sont rapides, les vallées profondes ; la verdure fraîche des prairies et le vert foncé des bois de sapin s’entremêlent de manière à donner au paysage beaucoup de caractère : c’est ici le vrai pays de montagnes, le Harz tel qu’on le rêve avant d’y être venu.

Demain nous nous mettons en route pour commencer la tournée pittoresque de l’Unterharz ; nous devons nous rencontrer au pied du Brocken avec un jeune professeur,