Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 14.djvu/2

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

littérature : or, pour faire entrer la littérature japonaise dans l’éventaire du monde civilisé, il faut encore le travail de plus d’une génération.

Les considérations de cette nature n’ont point découragé mon compagnon de voyage. Il pense que comme elles n’ôtent rien au mérite des judicieuses observations de Kæmpfer, ni à la valeur des patientes recherches de Siebold, ni à l’intérêt des nombreuses relations auxquelles les missions diplomatiques contemporaines ont donné naissance, elles nous permettront bien de livrer au burin et à la presse le portefeuille d’illustrations originales que nous avons recueillies dans nos promenades de découvertes.

Cette collection formerait à elle seule la matière d’un album que l’on pourrait intituler : Les Japonais peints par eux-mêmes.

En y ajoutant un choix de photographies prises en majeure partie sous nos yeux, ainsi que divers croquis originaux provenant pareillement de notre séjour au Japon, nous espérons présenter le tableau le plus complet et le plus pittoresque qui ait encore été publié des institutions, des usages et des mœurs du peuple japonais.

Homoura, faubourg de Yokohama. Dessin de Thérond d’après une photographie.

Quant à notre texte, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il ne contienne absolument que la description de choses vues, le récit d’impressions et d’expériences tout à fait personnelles, l’exposé de jugements à l’abri de toute contestation. Cependant j’affirmerai sans peine et la réalité des observations et la fidélité avec laquelle il en est rendu compte. D’un autre côté, le lecteur voudra bien se souvenir aussi que nous n’en sommes encore au Japon qu’à la période des explorations. Trois points de l’empire seulement, trois places de peu d’importance en elles-mêmes sont ouvertes au commerce étranger. La capitale n’est accessible qu’aux agents diplomatiques. Les excursions qu’ils ont tentées dans l’intérieur n’ont pu s’accomplir qu’imparfaitement, parmi toutes sortes d’entraves, sous la direction et la haute surveillance d’une police tracassière et méticuleuse. On peut conclure de cet état de choses que l’étude du Japon n’est encore qu’ébauchée et fragmentaire. Elle offre peu de résultats que l’on puisse présenter avec l’autorité du savoir ou cette sorte de garantie que l’on exige dans le monde des affaires. En un mot, le domaine de la certitude est fort restreint, tandis que le champ des recherches, des conjectures, des hypothèses, est illimité.

Cette situation autorise d’autres procédés que ceux de la méthode scientifique ou de la pratique des affaires. C’est le cas de donner carrière à l’imagination, à l’agent irresponsable et sans prétention, qui n’a d’autre science que celle de la vie, d’autre mémoire que celle du cœur, d’autre moyen d’observation que le regard de la sympathie. Il franchit sans effort les barrières qui séparent les peuples ; il discerne l’homme parmi les divergences de races ; il distingue les réalités humaines sous les formes conventionnelles des dominations politiques et religieuses ; il compare, élague, rapproche, et devine… Ajouterai-je que parfois il se trompe ? Mais lui-même vient en souriant déposer sa récolte aux pieds de la critique, et sans attendre son arrêt, s’envole explorer de nouvelles régions.

C’est donc à lui, mon attaché fidèle, le compagnon de mes voyages, l’associé de mes travaux, l’hôte de ma solitude, que j’abandonne une grande part de ma tâche ; et si ce n’est la plus sérieuse, ce ne sera peut-être pas la moins utile pour la recherche de la vérité sur le pays et le peuple que je me propose de décrire.


Une résidence européenne au Japon.

Le 26 avril 1863, étant à bord de la corvette néerlandaise le Vice-amiral Koopman, j’arrivai, au point du jour, en vue de six petites îles montagneuses