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Page:Le Tour du monde - 14.djvu/280

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Il se soucie bien, lui, du mode de formation du lac d’Aydat et des souvenirs de Sidoine Apollinaire !

La route que nous reprenons sillonne profondément un sol de pouzzolane et de lapilli, déposés par les volcans voisins sur d’immenses couches de basalte feldspathique, descendus à une date antérieure des contre-forts du Mont-Dore. Les Puys d’Enfer et de Monteynard, que nous laissons sur notre gauche, sont les derniers cônes que l’on puisse rattacher au groupe des Dômes. Ils sont sur la limite commune de deux failles d’explosion et de deux soulèvements volcaniques. Au nord le terrain remonte vers le Puy-de-Dôme, au midi il se relève en pente rapide vers le Mont-Dore.

Naguère encore on gagnait la vallée des bains, en escaladant directement cette escarpe, au risque d’avoir à lutter sur les plateaux qui la couronnent à 1 400 et 1 500 mètres d’élévation avec les terribles écirs qui en défendent l’accès : rafales irrésistibles de vent et de pluie au cœur de l’été ; tourbillons de grésil et de neige au commencement et à la fin de la saison. La route actuelle, plus prudemment tracée à droite de ces plateaux dangereux, nous fait descendre et remonter, par une suite multipliée de lacets, les gorges où bruissent et bondissent en cascades les sources des plus hauts affluents de la Sioule, et nous ménage, du haut de chaque arête intermédiaire, d’immenses perspectives sur tout ce que nous laissons derrière nous : sur le plateau des Dômes dont nous pouvons aisément dénombrer et reconnaître les Puys, et sur le bassin de la Sioule déroulant jusque dans les vapeurs de l’horizon du nord les ondulations infinies de son sol tourmenté, où tous les contrastes, toutes les nuances abondent. Il nous est même facile d’entrevoir, dans le sud-ouest, le lit de la Dordogne, débouchant du groupe de montagnes situé en face de nous, et se repliant autour des rochers de gneiss et de micaschiste de Saint-Sauves (voy. p. 277).

Un buron du Mont-Dore. — Dessin de Jules Laurens.

Parvenus au point culminant d’un col qui unit les Puys de Comperet et de l’Aiguiller, nous venions de contempler sous nos pieds le petit bassin rond du lac de Servière, qu’une lande sauvage semble avoir emprunté au jardin des Tuileries, lorsque tout à coup notre voiture s’arrêta et mon fils poussa un cri d’admiration.

Nous étions sur l’angle saillant d’une corniche plongeant à pentes brusques sur une sorte de gouffre dont nous ne pouvions apercevoir le fond, mais dont les parois opposées, également abruptes, se relevaient à un niveau encore plus élevé que le nôtre autour d’une concavité immense et toute boisée, à laquelle l’exposition du nord, les teintes grises des rochers saillants, le vert noirâtre de la végétation, un filet d’argent tracé à son centre par le cours écumeux d’un torrent, et l’ombre projetée par deux roches colossales debout au premier plan, donnent un caractère de beauté sauvage et de grandeur sombre, que d’autres paysages du Mont-Dore égalent peut-être mais ne dépassent point.

Ce site est connu par les noms de deux roches sœurs qui semblent les montants ruinés d’un portique gigantesque autrefois dressé devant cette ravine. Ce sont deux jets de phonolite : la roche Sanadoire et la roche Tuilière, élevant à plusieurs centaines de mètres au-dessus du sol, la première ses gerbes de prismes, courbés et divergents comme des jets d’eau figés ; la seconde ses faisceaux réguliers de colonnes hexagonales.

La roche Sanadoire, dont le temps a pour ainsi dire limé et aiguisé la cime, se terminait, il n’y a pas encore