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Page:Le Tour du monde - 14.djvu/286

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profondeur, une bulle d’air, irisée comme une bulle de savon, semblait rouler et courir. Un peu d’attention me convainquit qu’il y avait sous cette enveloppe gazeuse un être quelconque qui vivait, respirait et se livrait à la chasse des loches et autres habitants minuscules du bassin. Après quelques évolutions, le globe d’air s’éleva à la surface de l’eau, et creva ; un oiseau de la forme et de la grosseur d’une grive en sortit, étendit ses ailes, d’où tombèrent, comme des perles, quelques gouttelettes de la source, et la jolie créature, poussant un petit cri, prit son vol vers quelque autre bassin de la montagne. J’avais lu dans maint ouvrage d’histoire naturelle des détails sur le merle d’eau, cinclus aquaticus, sans que mes yeux de vieux chasseur l’eussent jamais rencontré. On dit qu’il n’est pas rare au Mont-Dore.

Cette promenade, prolongée sur les flancs du Puy-Gros, vers la base de la banne d’Ordenche, et de là, à travers les vallons de la Roche-Vendeix, les gorges boisées de la Vernière et les sapinières du Bozat jusqu’au roc du Capucin, remplit notre première journée.

Le lendemain fut consacré tout entier aux détails intérieurs de la vallée des Bains ; à la grande cascade, et à celle du Serpent, à l’avalanche de pierres du ravin des Égravats, au Puy de Cliergue et enfin au vallon de la Cour et à la gorge d’Enfer : deux anfractuosités circulaires, aux parois et au pavé de trachite démantelé, calciné, dans lesquelles il est bien difficile de ne pas voir deux évents, ou cratères, annexes antiques de l’immense bouche ignivome, ouverte jadis au fond du grand hémicycle d’où s’échappent aujourd’hui les eaux mères de la Dordogne.

Le troisième jour, nous trouva de bonne heure gravissant le cône du Sancy, après avoir cherché en vain, sur la haute terrasse qui unit à cette cime centrale celles des Puys Ferrand, de la Grange et de Cacadogne, le marais permanent et la voûte de glace éternelle, décrits par tant de touristes comme la source de la Dore. Je puis affirmer que le 25 août 1864, le plateau ne gardait pas la moindre trace de ces deux traits caractéristiques et que la permanence de l’un et l’éternité de l’autre avait cédé depuis deux grands mois à la sécheresse et la chaleur de l’été. La neige, il est vrai, devait y reparaître dès le lendemain, mais pour combien de temps ?

La tour d’Auvergne et Saint-Pardoux vus du plateau de Bozat. — Dessin de Jules Laurens.

J’avais lu aussi quelque part que, pour escalader la cime du Sancy il fallait un courage dont peu de personnes se sentent capables. À cette assertion je n’opposerai qu’un fait. Nous avons trouvé, installée sur la plate-forme même du cône, à côté du dé quadrangulaire de granit qui marque le point culminant de la France centrale, et déjeunant, en face de dix départements et de trois cents volcans, toute une société venue de Clermont à cet effet et qui n’avait rien de trop héroïque : un monsieur et deux dames d’âge incertain, deux belles jeunes filles de dix-huit à vingt ans, trois bébés en jaquette et deux suivantes dont une nourrice portant son nourrisson !…

Relater les détails intimes de cette excursion, ou de celles qui la précédèrent et la suivirent, me jetterait bien en dehors du cadre du Tour du Monde. Peindre les scènes variées qu’elles ont fait passer devant nous, les aspects grandioses, austères ou souriants, mais toujours pittoresques des paysages parcourus, serait refaire ce qui a été fait avec une bien autre autorité que la mienne, et après plusieurs années d’observations répétées et d’études spéciales par M. H. Lecoq.

Heureux si mes esquisses incomplètes pouvaient inspirer à ceux qui les liront, le désir de recourir au beau et sérieux travail de ce savant, je dois me borner à indiquer les traits principaux d’une région sur laquelle, en moissonneur habile, il n’a rien laissé à glaner derrière lui.

Le Mont-Dore, le plus haut des monts de la France centrale, n’a pas jailli, comme le Cantal, du fond d’un bassin lacustre, ou, comme le Puy-de-Dôme, sur les bords d’un grand lac ; il s’est élevé loin de tout dépôt sédimentaire, du sein d’un plateau de pur granit, sous la forme d’un cône un peu irrégulier et légèrement déprimé dont les pentes, plus ou moins rapides, vont se perdre graduellement dans la roche primitive qui les supporte. L’élévation moyenne du plateau étant de 1 000 mètres, et le niveau absolu du pic de Sancy de 1 884 mètres, on a un chiffre de 884 mètres pour l’épaisseur de la masse qui constitue la portion volcanique de la montagne. Cette masse, formée de lits superposés de scories, de conglomérats, de pierres ponces et de cendres, traversés et recouverts par des nappes et des courants de trachytes et de basalte, a été lacérée dans plusieurs directions par de profondes déchirures, dont l’une, ouverte du sud au nord, a donné naissance à la vallée des Bains, qui a comme évidé le centre du massif.

Le sommet de celui-ci est couronné par sept ou huit pics rocheux qui semblent autant de créneaux déman-