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Page:Le Tour du monde - 14.djvu/311

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tiques. Mes camarades firent la même observation. Nous nous trouvâmes bientôt tous réunis sur la galerie supérieure, notre quartier général.

Une promenade entreprise à la recherche des curiosités de Kanasawa que nous n’avions pas visitées le matin, fut abrégée par la pluie, qui survint au moment où nous sortions d’une bonzerie connue par ses bosquets de bambous. De retour à l’auberge, nous agitâmes la question du départ ; mais les bateliers déclarèrent que le vent nous empêcherait de sortir de la baie. On fit jouer la pièce à musique du constable ; on but du thé ; je me mis à dessiner le portail d’un temple voisin. Sur ces entrefaites, l’hôtesse, avec sa suite, entre, apportant un paquet d’estampes japonaises à vendre : c’étaient des vues de Kanasawa et de Kamakoura, et des images de divinités nationales.

Son mari vint nous offrir du poisson. Nous descendîmes avec lui au vivier, savant labyrinthe en pierres de taille, mis en communication avec la mer, et néanmoins parfaitement à l’abri de l’agitation des vagues. Nous fîmes notre choix pour le dîner, qui fut le triomphe de l’ichthyophagie : soupe au poisson, poisson bouilli, poisson frit, et même fines tranches de poisson cru, noyées dans le soya, que l’on sert en hors-d’œuvre, comme les anchois.

Kasanawa : L’auberge et l’île sacrée. — Dessin de Léon Sabatier d’après une photographie.

Au dessert, je demandai si quelqu’un, dans l’hôtellerie, savait jouer du samsin. L’hôtesse me rappela que l’étude du samsin est une partie intégrante de l’éducation féminine au Japon ; mais je vais, ajouta-t-elle, vous faire entendre une personne qui enseigne cet instrument.

Elle nous amena, en effet, une voisine d’un certain âge, professeur émérite des maisons de thé de la capitale, qui, sur notre invitation, prit place à notre table avec toutes les formes de la plus exquise politesse. La pièce à musique du constable la transporta d’admiration, et, chose remarquable, tandis qu’il nous est très-difficile de saisir les mélodies japonaises, l’habile artiste non-seulement sut mettre sa guitare au ton de nos airs européens et les accompagner, mais elle parvint même à en reproduire un ou deux avec assez d’exactitude.

Nous nous retirâmes de bonne heure dans nos compartiments nocturnes. Le mien était muni d’une moustiquaire japonaise, sorte de tente en grosse serge de soie verte, que l’on suspend au plafond par des attaches. J’y dormis assez bien, malgré l’air étouffé que l’on y respirait. Mais l’hôtesse n’avait pu fournir des moustiquaires à toute la société. Aussi ne fallait-il pas s’étonner d’entendre encore retentir dans une chambre voisine, aux premières lueurs du matin, le bruit des verres, les sons de quelques voix enrouées, et les notes