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Page:Le Tour du monde - 14.djvu/50

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LE JAPON,


PAR M. AIMÉ HUMBERT, MINISTRE PLÉNIPOTENTIAIRE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE[1].


1863-1864. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




Les rives classiques du Japon.

Les navires qui font le trajet de Nagasaki ou des côtes de la Chine à la baie de Yédo passent ordinairement par le détroit de Van Diémen, au sud de l’île de Kiousiou. Il est cependant une autre route, encore peu explorée, qui deviendra la voie la plus fréquentée lorsque les ports de Hiogo et d’Osaka seront ouverts au commerce occidental : on la désigne sous le nom de traversée de la mer intérieure. C’est celle que j’ai suivie en me rendant de Nagasaki à Yokohama. Ce voyage a duré sept jours ; mais il faut remarquer que nous avons passé quatre nuits à l’ancre, la première dans une île de la mer coréenne avant d’arriver au détroit de Van der Capellen, et les trois autres dans des ports de la côte de Nippon après avoir franchi le détroit. L’on ne possède pas encore de cartes nautiques qui offrent les garanties nécessaires pour que les navires à vapeur puissent cheminer dans ces parages la nuit, aussi bien que le jour : il faut se laisser guider par les pilotes indigènes et se soumettre aux stations qu’ils prescrivent.

La mer intérieure du Japon présente moins le caractère d’une méditerranée proprement dite, que celui d’un vaste canal traversant l’archipel japonais à la hauteur du trente-quatrième degré de latitude septentrionale, et mettant les eaux de la mer coréenne en communication avec les eaux du Grand-Océan par le passage de Van der Capellen à l’ouest, entre Nippon et Kiousiou, et les détroits de Boungo, de Naruto et de Linschoten, au sud et à l’est. Le détroit de Boungo est entre Kiousion et Sikoff, celui de Naruto entre Sikoff et Awadsi, et celui de Linschoten entre Awadsi et Nippon.

L’on estime que la mer intérieure mesure environ cinquante milles dans sa plus grande largeur et deux cent cinquante milles, ou quatre cents kilomètres, dans sa plus grande longueur, de l’ouest à l’est.

On y distingue cinq bassins, dessinés par les promontoires et les golfes des grandes terres de Kiousiou, de Nippon et de Sikoff, ou par les charmants groupes d’îles dont elles sont bordées. Ces bassins, appelés Nadas par les Japonais, reçoivent les noms des principales provinces dont ils baignent les rives, savoir : celles de Souwo, sur Nippon ; d’Iyo, sur Sikoff ; de Bingo, d’Arima et d’Idsoumi, sur Nippon.

La configuration des côtes et des nombreux groupes d’îles de la mer intérieure en fait une des parties les plus pittoresques du Japon (voy. la carte p. 3).

Des montagnes boisées, ornées de temples et de monastères, bordent le détroit de Van der Capellen. On découvre à leur pied, sur la rive de Nippon, une ville qui occupe, le long de la mer, une étendue d’un mille et demi : c’est Simonoséki, très-ancienne place de commerce, qui fut, jusqu’à la fondation de Yokohama, le principal entrepôt du trafic intérieur et même international de l’empire ; car, bien que le Japon fût fermé aux étrangers avant 1859, il entretenait, dans de certaines limites, des relations avec la Chine, la Corée et la factorerie hollandaise de Décima.

Simonoséki a un bon port, protégé contre la vague de la mer coréenne par la petite île d’Hikousima, qui, placée en travers du détroit, ne laisse entre elle et la terre de Kiousiou qu’un passage de cinq kilomètres de long sur trois quarts de large.

Un peu plus bas, l’on rencontre la petite ville de Kokoura, située sur la rive opposée, et bientôt l’on perd la vue des côtes, car on se trouve dans la partie de la mer intérieure qui présente la plus grande surface. C’est le bassin de Souwo, en japonais la Souwonada, nom sous lequel on désigne aussi la méditerranée japonaise tout entière. Elle n’a pas d’archipels, mais elle est sillonnée d’une quantité de lourdes jonques marchandes, de barques aux blanches voiles, et de bateaux de pêcheurs.

Les quatre autres bassins offrent une succession non interrompue d’îles petites et grandes, nues ou boisées, désertes ou peuplées, qui forment la ceinture des deux grandes terres de Sikoff et de Nippon, dont on n’aperçoit que les montagnes les plus élevées.

Les îles arides sont, pour la plupart, des masses de rochers noirs ou bruns, de création volcanique, taillés en pyramide, en cône, en pain de sucre, ou présentant l’image de figures fantastiques. Quelques-unes sont des monticules sablonneux, dont les ondulations rappellent la vue des dunes de Hollande.

Les îles désertes, mais non arides, sont cultivées par les habitants des villages voisins. Nous avons observé sur les plus grandes terres, de vastes étendues de rizières et de champs de blé, des collines et des vallées revêtues de la plus abondante végétation.

Mais au milieu de toutes les richesses naturelles dont elle est entourée, la population agricole des provinces du Japon vit dans un état voisin du dénûment : le produit de ses sueurs appartient aux possesseurs du sol, les daïmios, ou seigneurs féodaux.

L’absence d’une classe moyenne donne un aspect

  1. Suite. Voy. pages 1, 17 et 33.