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Page:Le Tour du monde - 14.djvu/55

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fils du soleil courait à sa perte, prirent le parti de se transporter avec leur empereur à Kioto, petite ville de l’intérieur, à cinquante kilomètres au nord d’Osaka. Ils réussirent à en faire la résidence permanente des mikados et la capitale définitive, la Miako de l’empire.

En abandonnant la populeuse cité bourgeoise, ce grand centre de commerce, d’industrie, d’activité intellectuelle indépendante du daïri, ils obtenaient le double avantage de couper au souverain toute communication avec le peuple et de mouler, pour ainsi dire, la nouvelle capitale selon leurs goûts et au gré de leurs passions.

Kioto est située au centre d’une plaine fertile, ouverte au midi et bornée au nord-est par une chaîne de collines verdoyantes, derrière lesquelles s’étend le grand lac d’Oïtz.

Elle est baignée dans sa partie méridionale par le fleuve Idogawa, qui sort du lac d’Oïtz et se jette dans la mer intérieure au-dessous d’Osaka. Deux affluents de l’Idogawa prennent leur source au nord de la capitale et en longent les murailles, l’un à l’orient, l’autre à l’occident.

Ainsi Kioto est complétement entourée d’un réseau d’eaux courantes, qui se prêtent aux travaux d’irrigation des rizières aussi bien qu’à l’établissement de canaux dans les rues de la ville ou d’étangs dans les parcs impériaux.

On cultive dans ses environs le riz, le sarrasin, le froment, l’arbuste à thé, le mûrier, le cotonnier et une immense variété d’arbres fruitiers et de plantes légumineuses. Des bosquets de bambous, de lauriers, de châtaigniers, de pins et de cyprès couronnent les collines. Les sources jaillissantes y abondent. Des milliers d’oiseaux, le faucon, le faisan, la huppe, les oies, les canards, les échassiers de toute espèce, animent les campagnes. La contrée de Kioto est réputée dans tout le Japon pour la douceur de son climat. C’est aussi l’une des parties de l’empire qui sont le moins exposées aux ouragans et aux tremblements de terre.

Un ermite à Kioto (voy. p. 58). - dessin de Émile Bayard d’après une peinture japonaise.

Les successeurs de Zimmou ne pouvaient rencontrer une retraite plus propice pour jouir tranquillement du fruit des labeurs de leurs ancêtres, pour se diviniser complaisamment sur le piédestal des anciennes traditions de leur race, pour oublier enfin les réalités de la vie humaine au point de laisser échapper de leur main énervée l’un des plus beaux sceptres du monde.

Le descendant des Kamis du Japon était naturellement désigné pour devenir le chef de la religion nationale. Celle-ci n’avait pas de clergé. Les mikados créèrent une hiérarchie de fonctionnaires revêtus du caractère sacerdotal et chargés de présider à tous les détails de l’exercice du culte public : il y eut les ordonnateurs des fêtes sacrées et patriotiques, les entrepreneurs des pompes funèbres, les gardiens des temples et de leurs trésors, les conservateurs de leurs reliques et de leurs cimetières. Tous les hauts dignitaires furent choisis parmi les membres et les collatéraux de la famille impériale.

On ne procéda pas autrement en ce qui concernait le service du palais et généralement toutes les fonctions importantes du daïri. Les chefs de l’administration civile et militaire devinrent toujours plus étrangers à la cour proprement dite, et celle-ci prit on cachet exclusivement clérical.

La capitale même de l’empire finit par présenter cet étrange spectacle, que l’on n’y rencontrait à peu près rien qui eût trait à la guerre, à la marine, au gouvernement de l’État : tout cela ayant été abandonné aux soins des fonctionnaires préposés à ces divers services et disséminés dans telle ou telle place de province. En échange, toutes les sectes qui reconnaissaient la suprématie du mikado tinrent à honneur de fixer en sa résidence le siége de leurs propres dignitaires, et d’y élever, à l’envi les unes des autres, des monuments de leur spécialité religieuse. Ainsi, quand le bouddhisme, importé par des moines venus de la Chine, se fut assuré la protection du mikado en lui rendant hommage, à titre de chef spirituel de l’empire, il ne tarda pas à surpasser tout ce qui s’était fait dans la capitale à la gloire du culte des Kamis. Ce furent les bouddhistes japonais qui dotèrent Kioto de la plus grosse cloche du monde et d’un temple non moins unique en son genre : on l’appelle le temple des trente-trois mille trois cent trente-trois, ce qui est le nombre exact des idoles qu’il contient. Pour donner la clef de ce tour de force, je dois dire que les grandes statues en supportent une multitude de petites,