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Page:Le Tour du monde - 14.djvu/91

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cayali et me l’offrit avec beaucoup de grâce. Je suspendis aussitôt l’animal à une branche d’arbre, et l’ayant incisé de la gorge à l’anus, je commençai à le dépouiller de son cuir. Cette opération terminée, j’allais m’occuper de la préparation de son squelette, lorsque le jour finit et me força de remettre cette besogne au lendemain. Dans la nuit, une crue des eaux haussa de six pieds le niveau du fleuve. Les caïmans profitèrent de l’incident pour s’emparer de mon dauphin, dont au réveil je ne retrouvai plus de traces.

Je ne crus pas devoir attendre la réalisation de l’offre que me fit mon élève de m’approvisionner d’un autre cétacé. Le surlendemain je pris congé de lui par un discours propre à l’affermir dans la voie du bien, et quand j’eus remercié ses parents de l’hospitalité qu’ils m’avaient donnée, je m’embarquai sur une egaritea à eux appartenant, laquelle devait me conduire jusqu’à Loreto, dernier village de la frontière péruvienne.

À peine installé sous le rouffle de cette embarcation, j’aperçus au milieu de provisions de toutes sortes qu’y avait fait apporter mon hôtesse, un canard rissolé dont le fumet me fit venir l’eau à la bouche en même temps qu’il éveillait ma gratitude pour sa donatrice. Tout en jurant d’être toujours fidèle au souvenir de la noble matrone qui m’avait si bien accueilli, je me promis de souper ce soir-là du palmipède cuit à point par sa main généreuse.

Indien Omagua.

Deux heures après notre sortie de Nauta, nous passions devant l’embouchure de l’Ucayali. Mon cœur s’émut à l’aspect de ce vieil ami, témoin impassible et muet de mes douleurs et de mes joies passées. Pour honorer son confluent et lui adresser un adieu final, je versai dans une calebasse dix gouttes de tafia, je bus à sa santé et lançai ma coupe dans le courant où elle tournoya, s’emplit et disparut, au grand étonnement des Indiens Cocamas qui me regardaient faire.

Ce devoir rempli, je relevai la courbe que le grand fleuve[1] décrivait devant nous, je constatai sa direction

  1. Ce fleuve, dont les Indiens Tupinambas du Brésil ne connaissaient que le cours inférieur (Bas-Amazone), était appelé par eux Parana-Huasu (la grande rivière). — Les frères Pinçoës, lors de la découverte qu’ils firent de son embouchure, lui donnèrent le nom de Mar dulce, que le capitaine Francisco Orellena remplaça par celui de Mar Orellana. Le nom d’Amazone lui fut donné plus tard, en souvenir des femmes guerrières que l’Espagnol Orellana