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Page:Le poisson d'or.djvu/157

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LE POISSON D’OR

roches. Mais, puisque mamzelle Jeanne l’a dit, c’est dit : allume, vous autres ! et du nerf !

Vincent lui tendit la main.

Nous restions en dedans de ce cap d’écueils qu’on nomme les Saisies de Larmor et qui ferment la rade du côté du sud-ouest. Le bateau ne sentait pas encore le courant. Sur nos têtes, le ciel était splendide, mais le vent d’aval fraîchissait de plus en plus et produisait une véritable tourmente en contrariant le reflux. Malgré le grand clair de lune, la mer semblait sombre au loin, à cause des ombres profondes, portées par les lames. Bruant prit chasse, dès que notre chaloupe vira de bord ; au lieu d’aller vers les Saisies, qui formaient en ce moment une immense ligne de brisants, il coupa droit au chenal dans la direction de Port-Louis.

Nous avions quatre avirons, emmanchés vigoureusement ; mais ces chaloupes de pêche sont lourdes à la rame, et, dès que le courant de jusant nous prit, nous fûmes entraînés par un violente dérive. C’était merveille, en vérité, de voir Bruant lutter contre la mer. Il dérivait aussi, mais chacun de ses élans, solides et réguliers, élargissait la distance qui nous séparait. Nous pûmes croire un instant qu’il couperait le courant selon une ligne diagonale et qu’il pourrait aborder à l’extrême pointe de Gavre, tandis que nous serions repoussés, nous, au delà des Errants.

— Borde la misaine ! ordonna Seveno.

Deux avirons seulement restèrent dehors, et la large toile, déployée avec fracas, prit le vent. Bruant cria en se moquant :

— Borde la grand’voile et le foc ! et tout, mon bijou !