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Page:Le poisson d'or.djvu/99

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LE POISSON D’OR

— Pardonnez-moi si je vous interromps, monsieur Bruant, prononçai-je avec sécheresse. Mes instants sont précieux, et il ne s’agit absolument pas de Mlle Keroulaz.

Il fronça le sourcil et pâlit d’une manière visible.

— Est-ce que vous avez la prétention de m’enrayer ? murmura-t-il assez hors de propos.

Et, voyant tout de suite sa maladresse, il ajouta :

— Cartes sur tables, monsieur Corbière. Le billet que vous m’avez écrit a paru, à mes amis comme à moi, fort peu convenable.

Je souris involontairement, et mon sourire signifiait si bien « Vous n’avez montré ma lettre à personne, » qu’il intercala précipitamment :

— Si fait, monsieur, si fait, j’ai consulté à ce propos. Je consulte toujours… Oh ! Oh ! vous avez écouté les clabaudages… les clabaudages… les clabaudages !

Il répéta ce mot par trois fois, et ajouta :

— Je suis en règle, voyez-vous, j’ai tous mes titres, moi. Bah ! bah ! L’expérience vient avec l’âge. Savez-vous ce que c’est qu’une petite ville, vous ? Je soigne ma fortune : ça empêche-t-il les blés du voisin de pousser ? Pour leur plaire, faudrait-il jeter mes écus de six livres par la fenêtre ? Combien gagnez-vous bon an, mal an, vous ?

— Monsieur… voulus-je interrompre ?

— Je vous dis : cartes sur tables ! Que diantre ! on ne peut pas devenir riche sans exciter l’envie de ceux qui restent pauvres ; admettez-vous cela ? Oui. Eh bien, tout se suit. Les ivrognes ne m’aiment pas, parce que je ne bois que de l’eau rougie. Les ci-devant me détestent, parce je sors du peuple. J’ai été domestique, et me voilà maître : ça m’honore… J’ai donc une marotte