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LE VOL SANS BATTEMENT

se sent mieux chez lui. Il n’y a que ce polisson de moineau, aussi remuant que nous, qui puisse s’accommoder de notre voisinage. On prétend cependant qu’il y a des vols de garde-bœuf dans la plaine de la Crau ; mais, en y réfléchissant un peu, on voit qu’ils abordent notre sol sur les points inhabités.

En Egypte, ce n’est pas la solitude qui l’attire, car la campagne nilotique est trois fois plus peuplée que la campagne française : c’est la mansuétude de ses habitants qui le décide à hiverner sur ce point. Les hommes ne lui veulent que du bien, les enfants eux-mêmes ne s’occupent guère plus d’eux que des poulets du village.

Je les ai vus cependant une fois s’amuser à les prendre.

Le moyen employé est aussi primitif que le sont les chasseurs et le gibier. En fait de fusil, ces gamins avaient une ficelle de cinq ou six mètres. Ils prirent un des petits crapauds qui grouillent dans ces terres noyées, l’attachèrent par le milieu du ventre et le jetèrent au loin. Les hérons blancs luttèrent de vitesse pour s’en emparer, et le plus habile l’engloutit avec la ficelle.

Cela ne passait pas facilement, mais enfin, à force de tours de cou, le crapaud arriva à l’estomac.

C’est ce qu’on attendait ! Hélas, le pauvre oiseau eut beau dire par ses regards que c’était violer la foi des traités ; il eut beau essayer de briser la corde en s’envolant, il fallut se résoudre à être remorqué jusqu’à ces diables de gamins, à être pris, et même à rendre gorge, car ils retirèrent sans vergogne le batracien.

Il resservit pour en prendre un second, et voire même un troisième, jusqu’à ce qu’enfin (ils les prenaient pour moi), après les avoir bien vus, bien contemplés, mesurés, vérifiés, dessus, dessous, sous les ailes, je n’eus rien autre de mieux à faire que de leur rendre la liberté.