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Page:Lebel - Le mendiant noir, 1928.djvu/48

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LE MENDIANT NOIR

— Hein ! ce n’est pas ma fille… elle, Constance ? Arrière ! Est-ce qu’un père ne saurait reconnaître sa fille ?

Et, farouche il voulut bousculer d’Auterive.

— Holà, gardes ! appela le gentilhomme.

Les gardes accoururent.

— Ah ! ah ! s’écria avec une ironie mordante le père Turin, vous allez me faire arrêter peut-être ?

— Oui, à moins que tu déposes cette jeune fille…

— Ma fille !

— Non, clama d’Auterive, ce n’est pas ta fille, tu es fou ! Allons, vous autres, ordonna d’Auterive aux gardes indécis, prenez mademoiselle.

— Arrière ! arrière ! clama le père Turin d’une voix forte. Ah ! vous voulez donc me prendre ma pauvre enfant ?

Et comme pour répondre à ses pensées, il ajouta plus bas :

— Oh ! comment se fait-il qu’elle soit ici… que je l’ai trouvée inanimée sur ce pavé ?

Il la regarda attentivement et avec amour. Elle était livide et comme morte. Il l’embrassa tendrement.

Saisi de colère et d’horreur à la vue de ce loqueteux qui embrassait ainsi Mlle de Verteuil, le Lieutenant de Police frappa du pommeau de son épée le mendiant à la tête.

Sous ce coup rude et imprévu, le père Turin chancela…

Un garde lui enleva la jeune fille.

À cet instant Verteuil s’approchait avec la torche de l’un des gardes. Il reconnut sa nièce non sans une grande surprise.

— Faites-la conduire chez moi ! dit-il à Gaston d’Auterive.

Le mendiant au son de cette voix et tout étourdi qu’il était par le coup qu’on venait de lui asséner sur la tête, se raffermit et jeta sur Verteuil un regard chargé de menace.

— Ah ! ah ! c’est toi, encore, gronda-t-il.

Puis dans un geste rapide, il tira de sous ses loques un court poignard et se jeta sur Verteuil en criant :

— Ah ! toi aussi tu veux me prendre ma fille !…

Deux gardes, sur un geste du Lieutenant de Police, se ruèrent contre le père Turin et le maintinrent solidement, après l’avoir désarmé.

Verteuil se pencha à l’oreille du Lieutenant de Police et murmura :

— Je vous engage d’arrêter cet homme, il est très dangereux !

D’Auterive fit un signe affirmatif, et ordonna à ses gardes de lier les mains du mendiant.

Celui-ci se rebella. Il se mit à crier de toute la force de ses poumons :

— Holà, la besace !… On me vole ma fille ! Holà ! on m’assassine !… Alerte ! Alerte !

— Silence ! hurla Gaston d’Auterive avec un geste de menace.

— Ma fille !… C’est ma fille !… clama le père Turin. Ah ! voleurs, gredins, canailles !

Avec une force qu’on ne lui eut pas soupçonnée il culbuta ses gardiens et leur fit lâcher prise ; et, mains liées derrière le dos, tête baissée, rugissant, le vieux mendiant bondit contre Verteuil qui venait de s’emparer de la jeune fille.

À cet instant, une voix terrible retentit pas loin de là :

— Tenez bon, père Turin, j’accours !…

Cette voix résonnait encore dans les échos de la nuit, qu’un homme surgit tout à coup hors de l’obscurité, sa main droite armée d’une longue rapière.

Un long cri de stupeur partit de toutes les bouches à la vue de l’homme qui apparaissait dans la clarté des torches et du réverbère de la place.

C’était Maubèche !

Il s’écria, tandis que ses yeux à fleur de tête paraissaient rouler dans un flot de sang.

— Hé ! par satan ! est-ce qu’on assassine par ici ?

Et sa rapière après un terrible et foudroyant moulinet abattit un garde qu’elle transperça d’outre en outre, puis en blessa un autre.

Les autres gardes, terrifiés, se jetèrent dans l’obscurité.

Toutefois, la rapière de Maubèche en rencontra une autre soudainement : c’était l’épée du Lieutenant de Police.

Maubèche se mit à rire.

— Par mon âme ! monsieur le Lieutenant de Police, nargua-t-il, tout honoré de croiser le fer avec votre excellence ! Tenez, ce ne sera pas long… Une, deux, trois.

Par un jeu terrible et mystérieux de sa rapière Maubèche, ce disant, fit voler des mains du jeune homme sa rapière qui alla rebondir loin sur le pavé de la place.

D’Auterive lança un blasphème et prit la fuite. Ses gardes s’étaient déjà sauvés, ainsi que Verteuil emportant sa nièce.

— Ma fille !… ma fille !… cria encore le