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Page:Lebel - Le mendiant noir, 1928.djvu/62

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LE MENDIANT NOIR

chercher une miche de pain et un carafon de vin. Et si je ne trouve rien pour calmer ma faim et apaiser ma soif, foi de Maubèche que le diable empeste, je mets le feu à votre tanière…

Il s’en alla, fredonnant gaîment :


Et foin de la belle
Laridon Laridelle…


Dix minutes s’écoulèrent.

Verteuil essayait vainement de se déprendre des liens qui l’enserraient. À chaque mouvement qu’il faisait les ficelles pénétraient dans ses chairs et lui causaient des douleurs atroces.

Maubèche reparut portant dans ses bras un pain, un fromage et six bouteilles de vin.

Il posa le tout sur un guéridon et s’assit. Puis il fit sauter le bouchon d’une bouteille dont il porta avidement le goulot à sa bouche. Néanmoins, avant de prendre la première lampée, il dit, comme se parlant à lui-même :

— Je veux boire à tire-larigot, puis me gaver comme douze riboteurs !

Il vida à moitié la bouteille et reprit :

— Dame ! c’est aujourd’hui la fête de la Besace… Que dis-je ? C’est aujourd’hui La Noce des Mendiants…

Il reporta la bouteille à ses grosses lèvres humides en criant d’une voix de stentor capable de réveiller toute la cité.

— À la santé de la Besace !…

Il vida tout à fait la bouteille qu’il lança sous le divan, ajoutant :

— Tout de même, l’animal, ce qu’il a du bon vin !

Verteuil grimaçait de rage impuissante.

Le nain surprit cette grimace.

— Ah ! tu ris, toi ? Peut-être bien parce qu’on n’est pas farci d’étiquette ? Qu’on ne porte pas beau ? Qu’on est pas vêtu en marquis ? Qu’on lampe et ribote sans se soucier du voisin ? Et admettons qu’il en soit ainsi, est-ce qu’on sera pour tout ça plus privé du Paradis qu’un autre ?

Il prit une formidable bouchée de fromage. Un moment il mastiqua activement, puis s’écria, ravi :

— Ah ! quel fromage !… La canaille, qui aurait dit qu’elle possédait ici céans du Camembert… mon pays ! Fichtre ! la panse tantôt m’en pétera ! N’importe, vertubleu ! je me serai farci à mon soûl ! Et ce pain ?… Je parie qu’il est pétri de farine royale ! Ah ! on peut être ni basochien, ni titré, ni huppé, mais on ripaille quand même !

Il décapita une seconde bouteille et la vida sans arrêt.

— Diable ! murmura-t-il avec extase, comme ça coule… un vrai fluide !…

Cette deuxième bouteille alla rejoindre la première sous le divan.

— Maubèche !… proféra tout à coup la voix de Verteuil.

— Ah ! ça, s’écria le nain avec une feinte colère, me laissera-t-on dîner en repos ? Voilà qu’on n’est plus maître chez soi, les mendiants foncent sur vous, ils veulent non seulement les miettes, mais les morceaux et les plats tout ronds !… Eh bien ! monsieur, que désirez-vous ?

— J’ai soif, Maubèche !

— Ah ! diable ! voilà une parole de souffrance comme j’en entendis souvent dans ma vie et comme j’en proférai jadis, au temps où que… Ma foi, monsieur, je n’ai pas mauvais cœur, je vous ferai boire !

Il approcha une bouteille des lèvres du prisonnier.

— Délie-moi une main, Maubèche !

— Non, vous n’êtes pas sérieux ! Est-ce que je ne boirais pas, moi, mains liées et yeux fermés ? Buvez, monsieur, sinon…

— Délie-moi une main, rien qu’une main, Maubèche ! supplia Verteuil qui, en même temps et sans le vouloir, laissait peser sur le nain un regard de feu.

— Psitt donc ! fit Maubèche, qui s’éloigna du prisonnier pour se rasseoir.

— Maubèche… cria Verteuil.

— Passez-vous-en, monsieur…

Et d’un long trait il but cette troisième bouteille.

— Oui-da, lui délier une main, se mit-il à grommeler, la bouche pleine de fromage, pour qu’il me casse la gueule ensuite avec la bouteille ! Ah ! quel dégoût !… Pour qui me prend-on à présent ?…

Le marteau de la porte d’entrée, rudement secoué, fit sursauter Maubèche si bien qu’il s’étouffa net.

— Holà ! cria-t-il, qui s’annonce ainsi ?

— Maubèche !… prononça de l’extérieur une voix connue.

— Ah ! par la Besace ! c’est le maître !… Minute, monsieur, j’accours !

Étouffant, toussant, hoquetant, le nain, le candélabre à la main, courut à la porte du vestibule, poussa les verrous, ouvrit.

— Monsieur, dit-il à Philippe Vautrin, je