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Page:Lebel - Le mendiant noir, 1928.djvu/65

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pas le nom de notre père… On l’appelle le père Turin.

— Le père Turin !… le mendiant !… s’écria Philomène en abandonnant Constance comme avec horreur.

Gaston d’Auterive, à quelques pas de là, chancelait aussi de stupeur ou d’horreur.

— Les mendiants de la basse-ville !… fit encore Philomène, la physionomie hagarde.

— Pauvre sœur ! soupira Constance : si tu les connaissais, tu verrais comme ils sont de braves cœurs quand même.

Pour la seconde fois Philomène se jeta dans les bras de Constance, et vaincue cette fois, elle cria :

— Emmène-moi, Constance, emmène-moi !

Tendrement Constance mit le bras de sa sœur sous le sien et l’entraîna dehors, murmurant :

— Viens, pauvre sœur, viens !…

Elles disparurent dans l’obscurité.

Gaston d’Auterive demeurait là médusé, incapable de faire un mouvement, de proférer une parole.

Puis, lorsque les deux fines silhouettes eurent disparu à ses yeux, il repoussa rudement la porte, tourna sur lui-même et gagna son appartement en proférant une imprécation.

Il était peut-être devenu fou. Du moins il le disait lui-même :

— Je suis fou !… Je suis fou !… répétait-il.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les deux jeunes filles venaient de quitter la cour d’honneur et franchissaient la porte cochère qu’un garde leur avait ouverte avec respect.

Sur la place du Château elles se virent tout à coup abordées par deux hommes.

— Philomène !… dit l’un.

— Constance !… proféra l’autre.

Les deux jeunes filles reconnurent Philippe Vautrin et Pierre Nolet à qui nous rendrons son véritable nom.

— Père ! Père ! cria Constance folle de joie, voici ma sœur, Philomène !

Nolet regarda la belle demoiselle sans s’approcher.

Et elle pensa :

— Non… cet homme n’est pas mon père !

Constance demeura surprise et chagrine.

Philippe Vautrin, qui devina dans quelle situation embarrassante on allait se trouver, intervint :

— Monsieur Nolet, prenez le bras de Mademoiselle Constance, moi je prends celui de Mademoiselle Philomène, car il est urgent que nous allions régler certains comptes.

Pierre Nolet, toujours vêtu en mendiant, offrit son bras à Constance qui, cette fois, parut marcher comme en un rêve de folie. Philippe Vautrin offrit le sien à Philomène qui s’y pendit en murmurant :

— Ah ! monsieur, monsieur, dites-moi que signifie tout ce mystère… toute cette comédie qui ne semble pas prendre fin !

— Patientez, mademoiselle, murmura Philippe, bientôt vous en verrez la fin ! Venez…

Un quart d’heure après tous quatre pénétraient dans la maison de Verteuil où ils furent reçus par Maubèche qui, le candélabre à trois branches en sa main droite, s’effaçait pour laisser entrer ses visiteurs dans le vestibule.

Maubèche… Mais qu’avait-il donc tout à coup ?… Voilà qu’après avoir refermé la porte il se mit à chanceler… il faillit même échapper le candélabre…

— Hé ! Maubèche, tu as trop bu ! cria sévèrement Philippe. Et notre prisonnier ?

Maubèche ne répondit pas. Avec le candélabre vacillant élevé au-dessus de sa tête, le nain, tout figé, ses yeux à fleur de tête affreusement agrandis, considérait Philomène. Elle, avec effroi, regardait ce nain grotesque et grimaçant.

Puis, tout à coup, Maubèche poussa un cri rauque, lança son candélabre dans un grand miroir qui vola en miettes, et avec un rugissement clama :

— Ma fille !… ma fille !…

Dans l’obscurité qui suivit le nain se jeta sur Philomène, la saisit dans ses bras et se mit à l’embrasser avec frénésie, répétant :

— Ma fille !… ma fille !…

— De la lumière ! rugit Philippe Vautrin ; cet homme est fou !

Pierre Nolet se précipita vers le candélabre dont une des bougies demeurait intacte et réussit à l’allumer en quelques secondes.

Alors on put voir le nain serrant dans ses bras Mlle de Verteuil évanouie, et couvrant son visage blême de baisers.

Vautrin se jeta sur lui et voulut lui arracher Philomène.

— Arrière ! rugit le nain avec une voix de tonnerre. Par Satan ! monsieur, je vous perce la gorge avec votre propre rapière ! C’est ma fille… je la garde !

Éperdue, Constance s’était laissée choir sur un canapé. Nolet paraissait avoir perdu