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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/103

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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

MA FIANCÉE

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Il vint vers moi, la main tendue.

— Eh bien, quoi ! tu ne me reconnais pas ?

— Fougeraie !

Oui, Fougeraie, que je n’avais pas vu depuis trois années, Fougeraie, les cheveux tout blancs !

Je lui dis :

— Tu as un peu changé…

— Mes cheveux blancs, n’est-ce pas ? Eh bien, si je te disais qu’il a suffi de quelques heures… quelques heures, pas davantage.

Il murmura, la tête entre ses mains :

— Oh ! quel souvenir ! Comment ai-je pu passer par là sans devenir fou ?

Imagine tout ce qu’il y a de plus horrible… et de plus simple pourtant… D’ailleurs, écoute…

Il me prit le bras et, d’une voix saccadée, en petites phrases sèches, il me raconta ceci — et en vérité je comprends que ses cheveux soient blancs et le coin de ses lèvres creusé de ce pli d’amertume !

— Il y a vingt mois, je me suis fiancé en Bretagne, avec une jeune fille dont la mère, Mme Brial, habitait les environs de Vannes. J’adorais Madeleine, et elle m’aimait bien aussi, j’en suis sûr. Tous les jours, de Vannes où j’étais installé, j’allais la voir en tricycle — tu te rappelles, n’est-ce pas, que dès le début, j’ai été un fanatique d’automobile — Des semaines délicieuses s’écoulèrent. Mon Dieu ! comme je l’aimais !