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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/107

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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

Le Tandem de M. et Mme Boulingrin

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— Es-tu prête, Diane ? cria M. Boulingrin. Voilà une demi-heure que je t’attends.

Mais, en fait, l’attente était douce à M. Boulingrin, car il attendait dans son fauteuil d’osier, au bas des marches de son perron, et en face de son tandem.

Il y avait trois ans que M. Achille Boulingrin, maire de l’endroit, ancien marchand d’engrais, gros bonnet, homme de poids et d’autorité, et que Mme Boulingrin, née Diane Grillon, complotaient l’acquisition d’un tandem, objet de luxe grâce auquel ils achèveraient de se poser, dans le bourg d’Étrépigny, comme les champions du progrès, de l’élégance et du sport.

Que d’économies il leur avait fallu faire ! Que de calculs à longue échéance ! Que de visites au marchand de cycles de la ville voisine ! Un pareil rêve était-il réalisable ?

Il l’était comme tous les rêves de M. et Mme Boulingrin. Depuis un mois, la commande était faite. Depuis un mois, presque chaque jour, et sans dire la raison de leurs déplacements, Achille et Diane allaient en ville prendre de laborieuses leçons d’équilibre. Depuis la veille au soir, enfin, ils étaient en possession dé l’instrument.

Et, à l’heure actuelle, M. Boulingrin le contemplait orgueilleusement. Comme il étincelait ! comme il semblait plus beau, plus solide, plus gracieux, plus riche que tous les tandems rencontrés jusqu’ici ! Un pareil tandem ne pouvait appartenir qu’à des gens qui ont du foin dans leurs bottes. Quelle surprise à Étrépigny ! Surprise douloureuse pour beaucoup : les Boulingrin avaient tant d’envieux !