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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/119

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Une petite émotion m’étreignit : devant moi se dressait, encastrée dans le roc, ses assises se confondant avec lui, la dernière tour, refuge suprême contre l’ennemi. Et cette tour, mutilée, presque rasée par endroits à fleur du sol, cette tour était aussi l’asile où m’attendait la chose, ou plutôt l’être mystérieux, la fée ; oui, j’aimais à me figurer une fée captive, étendue sur un lit de bruyère et de mousse et songeant à l’étranger dont l’intervention la délivrerait des sortilèges qui la tenaient enchaînée.

Comme les plus graves, comme les plus tristes d’entre nous sont parfois puérils ! Je me souviens d’avoir dit à voix basse :

— Vous êtes là ?

Et me prenant moi-même au jeu dont se divertissait mon imagination, j’écartai les branches qui encombraient l’entrée. Personne, à première vue. Mais en ce coin ? derrière ces arbustes ? Je passai la tête. Un cri m’échappa.

Il y avait là, étendue sur un lit de bruyère et de mousse, une jeune femme vêtue de blanc, infiniment pâle, et qui semblait dormir.

Mon rêve, mes enfantillages, tout s’évanouit. J’étais pétrifié, et je regardais inlassablement cette apparition imprévue, et si étrange. Mais étrange en quoi ? Ce n’est que peu à peu que je parvins à le discerner : étrange par sa pâleur indicible, pâleur d’agonisante, pâleur de morte.

Elle ne bougeait point, cependant. Alors, à pas sourds, je m’approchai.

Une branche, sous mon pied, craqua. Elle ouvrit les yeux. Oh ! les pauvres yeux aux paupières vacillantes, au regard éteint ! Et elle murmura, si bas que je pus à peine l’entendre :

— Vous voilà… enfin… vous voilà… je vous attendais.

Elle m’attendait ! Involontairement, je m’agenouillai et lui pris la main. Elle était froide, cette main, glacée déjà. Et l’inconnue reprit :

— Je vous attends… depuis deux