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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/146

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Inexplicable originalité ! Pourquoi cette vie si nettement tranchée en deux parts si différentes ? Pourquoi ce mystère ?

— Je me repose, répondait M. Audimard aux interrogations des curieux. Je me repose, répondit-il à ma question, quand j’eus l’honneur d’être assez lié avec lui pour me permettre d’être indiscret.

Et il disait cela d’un ton qui n’engageait pas à poursuivre la conversation.

Un matin, appelé par mes affaires, je partis pour Saint-Laurent-en-Caux, autre bourg normand que l’absence de communications directes rendait assez éloigné. Je mis trois heures à m’y rendre. L’après-midi, je vaquai à mes occupations. Le soir, je dinai à l’auberge en tête à tête avec le percepteur.

Des gens du pays vinrent jouer au billard. Parmi eux il y en avait un qui se fit remarquer par ses propos plus lestes, ses airs de matamore et ses fanfaronnades, qui n’étaient point sans quelque drôlerie. Assez grand, de visage ouvert et plutôt sympathique, malgré certains signes de déchéance, débraillé dans sa tenue, il représentait bien le beau parleur de village, le coureur de cabaret. De fait, il semblait un peu gris.

Je demandai au percepteur qui était cet individu bruyant. Il s’écria :

— Mais c’est le sieur Vatinel, le célèbre Vatinel !

— Célèbre à quel titre ?

— À titre d’original d’abord, puis de mauvais garnement. Tel vous le voyez ce soir, tel vous auriez pu le voir tantôt, déjà gris, traînant d’auberge en auberge, entouré d’une cour de fainéants comme lui, et criard, hâbleur, endetté, de mauvaise foi, bref un vaurien que les honnêtes gens évitent et dont les dévotes ne parlent qu’en se signant.