Aller au contenu

Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est vrai, Madame, c’est moi… qui l’ai écrasé… hier… c’est vrai…

Elle eut un gémissement.

— Ah ! c’est vous, Monsieur…

Aucune colère, aucun geste de révolte, mais une résignation qui me navra. J’aurais préféré sa haine.

Je repris :

— Écoutez, Madame, je ne peux pas faire que ce qui est ne soit pas… et ce que je viens vous proposer ne diminuera en rien votre douleur de mère… Une mère, n’est-ce pas, ne vit que pour son enfant, et lorsque son enfant n’existe plus, rien ne la console. Cependant, je voudrais vous dire… que je prends à ma charge tous les frais… la cérémonie… la petite tombe… l’entretien.

Il me parut qu’elle me regardait avec étonnement, comme si elle ne comprenait pas. Je balbutiai :

— Bien entendu, ce n’est pas tout… Vous fixerez vous-même le… dédommagement… la somme annuelle… mon notaire…

En vérité, l’expression de ses yeux me déconcerta. Je me tus. Nous avions l’air de deux personnes parlant un langage différent.

Enfin, elle saisit mon bras et m’entraîna. Nous passâmes dans la pièce voisine. Sa mère était penchée sur le petit lit. Elle l’écarta, et comme je n’osais tourner les yeux vers ma victime, elle me fit signe d’approcher.

Et je vis, ô ? l’adorable spectacle, je vis parmi des jouets épars sur le lit, un enfant qui souriait, un joli enfant blond, un peu trop pâle peut-être, mais bien vivant, oui, bien vivant.

— J’ai lu sur les journaux… murmurais-je.

— Qu’il était mort, n’est-ce pas ? On s’est trompé. Certes, nous avons eu bien peur, mais il n’a eu que des contusions… Le médecin sort d’ici et nous a tout à fait rassurées.