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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/165

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— D’ailleurs il n’y a rien à craindre… Raymond est le plus fort… tu vois bien…

La main crispée au collet de mon veston, elle regardait, immobile, toute raidie par l’angoisse, l’abominable duel.

Il dura quelques secondes. Tour à tour les deux hommes semblèrent l’emporter. Et puis il y eut un grand cri, un gémissement étouffé, puis un silence : ils avaient disparu tous deux…

Comment fus-je ramené ? Comment m’éveillai-je dans mon lit le lendemain, grelottant de fièvre ? Je ne saurais le dire.

On m’interrogea. Je répondis que Georges et Raymond, patinant devant nous, étaient tombés tout à coup dans une crevasse qu’ils n’avaient point aperçue. C’était la version d’Henriette.

— Et elle, qu’est-elle devenue ?

— Quelques jours après elle quittait Rouen.

— Folle de douleur, sans doute ?

— Je le suppose.

— Tu ne l’as jamais revue ?

— Si, l’an dernier, en Italie. On nous a présentés l’un à l’autre dans un salon. « Ah ! mon cousin ! » s’est-elle écriée gaîment. Elle m’a pris par le bras et m’a mené vers un homme fort bien, son mari. Ils semblaient s’adorer et être très heureux. Le lendemain je fis la connaissance de leur fille, une délicieuse enfant blonde de dix-huit ans. Au bout de huit jours je l’aimais comme un fou et je voulais l’épouser.

— Eh bien ?

— Eh bien, non, j’ai eu peur, je me suis enfui…

Maurice LEBLANC.