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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/171

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Un vieux matelot leva les épaules et grogna :

— Rien à faire, mademoiselle. Tous les camarades sont rentrés cette nuit de la pêche. C’est de la chance. Il ne faudrait plus tenter l’aventure aujourd’hui. On n’en reviendrait pas.

Mais Stéphane causait déjà avec un groupe de pêcheurs plus jeunes, et tâchait de les stimuler. Ils secouaient la tête.

— Non, non, ce serait de la folie. Autant dire qu’on en a assez de vivre.

Il offrit de l’argent, une grosse somme à se partager. Ils ne répondirent pas.

Là-bas, cependant, l’être apparaissait de temps à autre sur la crête des vagues, entraîné par le courant d’une falaise à l’autre. C’était lamentable et tragique, le spectacle de cette chose humaine dans l’immensité hostile.

On avait l’impression que chacune de ces apparitions était la dernière. À la longue on l’eût presque désiré, et que ce fût fini.

Tout à coup Madeleine poussa un cri déchirant : son fiancé se dirigeait vers les barques, avec quelques-uns des plus hardis pêcheurs. Elle y courut. Mais une femme l’avait précédée, la mère de Stéphane qui venait d’arriver, suivie de M. Argueil. Et la mère s’accrochait à son fils.

— Je te le défends, Stéphane. Écoute ce qu’ils te disent : c’est la mort… Non, je t’en supplie, je n’ai plus que toi… non, n’y va pas… Je t’en supplie.

Il semblait ne pas même entendre, continuant en hâte les préparatifs. Ce fut bref. Audacieux et résolu, ayant passé toute son enfance dans ce petit port normand, il accompagnait souvent au large les pêcheurs. Ceux-ci l’aimaient pour sa belle confiance et son courage.

Mme Argueil se traînait presque à ses genoux. Il la releva :