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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/176

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Le sort de nos chevelures surtout nous inquiétait. Il n’y avait point de doute que, faites prisonnières, nous serions inexorablement scalpées, et que notre cuir chevelu s’ajouterait aux dépouilles de brebis dont le Jaguar se drapait fièrement.

Nos hommes affectèrent l’insouciance, Mais nous vîmes bien qu’ils multipliaient les précautions. Défense à l’une de nous de sortir sans escorte. À la moindre alerte, coup de sifflet. Une bague, dont le chaton renfermait un peu d’eau en guise de poison, nous fut donnée pour le cas où notre honneur serait en jeu.

Mais que pouvait-on contre le Jaguar ?

Une après-midi que j’avais eu l’imprudence de m’aventurer le long de l’étang, trois démons surgirent d’un taillis, masqués, effrayants, me saisirent, me bâillonnèrent et m’entraînèrent malgré ma résistance.

Frisson-de-Lune était captive.

Demain nous irons, si vous voulez bien, jusqu’aux rochers d’Aprestou, et je vous ferai voir, sur la pente d’un ravin, la petite grotte où je dus subir les lois de la guerre. Il y avait pour tout mobilier une botte de paille et une grosse pierre. Comme nourriture, des fruits, du pain et du lait.

Je ne sais vraiment comment ces détails ont pu me frapper au milieu de l’épouvante folle qui bouleversait mon cerveau de petite fille, Je ne pensais même plus à crier, et toute idée de fuite m’était étrangère. Pourtant deux de mes agresseurs avaient disparu, et le Jaguar seul montait la garde à l’entrée de la grotte. Mais comme il me terrifiait, celui-là !

Certaine d’être scalpée, j’avais fait le sacrifice de ma chevelure. Quant au reste — je n’aurais su dire de quoi se composait ce reste — j’étais résolue à le