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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/196

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sa passion pour la bicyclette, les économies qu’il lui avait fallu faire pour se payer deux machines, les rêves qu’ils élaboraient tout l’hiver en vue de leur grande excursion de l’été, les promenades d’entrainement du dimanche.

Et je m’amusais à l’écouter. C’était vraiment un brave homme, Il avait un gros bon sens honnête et massif, des idées terre à terre, mais saines, droites, équilibrées. Sur son métier, sur la pratique des choses, sur les intérêts de sa ville et de sa région, ses remarques étaient justes et réfléchies.

Vraiment il m’intéressa. J’en oubliais d’appuyer la main de façon plus significative sur l’épaule de sa femme, ainsi que je l’avais projeté. J’étais si bien là, entre eux deux ! J’avais une réelle sympathie pour l’un autant que pour l’autre. Cela me venait peut-être un peu vite, comme ces grandes amitiés soudaines que l’on éprouve après avoir trop bu. Mais n’étais-je pas en effet que par l’air vif, par l’espace, par le mouvement, par le charme de l’heure ?

Nous arrivâmes ainsi au bas de la côte d’Avranches. Nous la montâmes humblement à pied, et nous prîmes des chambres à l’hôtel.

Bien entendu, je n’avais rien changé à mon plan primitif, et je manœuvrai de telle sorte qu’une heure après j’étais seul avec Mme Fumeron sur la merveilleuse terrasse d’Avranches, en face de la baie du Mont-Saint-Michel.

La vue est splendide et porte aisément à l’enthousiasme. Je fus lyrique, romanesque, tout à fait à la hauteur de la situation. Pourquoi cependant hésitais-je à sortir des généralités et à préciser davantage la cause de mon exaltation ? Timidité inconcevable. Il fallait parler.

Je parlai. Je dis mon émoi près d’elle depuis le matin, je louai ses lèvres, sa grâce…

Elle leva les yeux sur moi, et je m’arrêtai, assez embarrassé. Au bout d’un instant je continuai :