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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/229

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Soudain un grand cri, puis des cris encore, des personnes qui se sauvent… et puis une voix plus perçante qui domine le tumulte… Gueule-Rouge !

Et une chose arrive, un éclair sillonne l’espace, une masse rouge jaillit, s’enfonce, pénètre au cœur même de la foule…

Cette fois l’obus a dévié, l’écart s’est produit à gauche, l’obstacle de chair a été éventré, creusé par le boulet. Le trou est fait, énorme, affreux, ravin de sang encombré de cadavres, grouillant de blessés, où l’on agonise, où l’on hurle de douleur, où l’on gémit, où l’on meurt.

Et tout au bout, Gueule-Rouge se cabre, s’efforce, mord, heurte un mur et s’écrase.

Gueule-Rouge ! elle est là, inerte, inoffensive. On se précipite. Près d’elle un être ignoble se débat, le front crevé d’une large entaille d’où le sang coule. Il se crispe et se tord sur lui-même dans des convulsions, Et sa plainte est un rire, un rire de fou.

On cherche à le saisir, Mais désespérément il S’accroche à Gueule-Rouge, il la flatte, il la caresse, il l’entoure de ses deux bras, et dans un dernier sursaut de vie, avec des ricanements et des hoquets, il bégaie :

— C’est moi, oui, Caïn de Caorches… C’est moi, Gueule-Rouge… la bête… le Monstre. Ah ! ce qu’on a ri tous deux ! Les hommes, les femmes, les enfants, on les visait… on tirait… pan… ça se cassait comme des pipes… En a-t-on cassé, hein, Gueule-Rouge ?… Ah ! il le fallait, il fallait tuer… tout le monde devait mourir, n’est-ce pas ?… Régine était bien morte… ma Régine à moi… Ah ! me rappelle… c’était hier, vous savez… ce