Aller au contenu

Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


UN HOMME FORT

Séparateur

C’est dix minutes après m’être mis au lit et avoir éteint l’électricité, que j’eus l’impression de n’être point seul dans ma chambre. Quelqu’un était là, là, à six pas de moi, devant mes yeux grands ouverts et qui fouillaient vainement l’ombre impénétrable de la nuit.

Aucun bruit ne révélait cette présence. Mais je savais. Mon intuition était plus forte, plus clairvoyante qu’une certitude. Oui, quelque chose d’insolite se passait. Le silence n’était pas naturel. Il était trop profond, trop absolu, comme si une volonté supérieure en eût accru l’intensité formidable et que tous les froissements d’étoffe, tous les craquements de parquet s’y fussent perdus.

Mais l’homme avançait, cela ne faisait pas le moindre doute. Caché jusqu’ici derrière les rideaux de la fenêtre, il les avait écartés, Dieu sait avec quelles précautions ! et il avançait vers mon lit. J’estimai qu’il devait être à quatre pas de moi, le bras levé probablement et la main armée d’un couteau.

Et soudain je sentis que la sueur coulait tout le long de mon corps.

Je suis d’une force peu commune. À la salle de boxe on me redoute. Les exercices les plus violents me sont familiers. Un soir, près des fortifications, je me suis défendu aisément contre trois agresseurs. Pourtant, là, devant ce péril invisible, inconnu, devant ce péril qui n’existait peut-être pas, je me mis à trembler comme le dernier des lâches.