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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/239

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— Vraiment, mademoiselle… expliquez-moi d’abord…

Elle se pencha, me prit les deux mains et s’écria, la voix tremblante, le regard plein d’angoisse :

— Je vous en prie… il n’y a pas une minute à perdre… sauvez-moi… je vous en prie…

Nous partîmes.

Ce fut une fuite éperdue et silencieuse, fuite d’autant plus étrange que personne ne nous suivait et que personne n’aurait pu nous suivre, étant donné l’extrême vitesse à laquelle nous marchions. Plusieurs fois j’essayai de ralentir. Elle ne me le permit point.

Nous traversâmes Attigney, Rezoul, Ardouis… À Grinol, qui était le but de mon étape, ce jour-là, je lui dis :

— Nous allons nous arrêter.

Mais elle m’implora ardemment :

— Ah ! non, je vous en prie… pas encore… plus loin… bien plus loin…

Bretalloux, Cherville… J’étais brisé de fatigue. Mes bras, raidis, me faisaient mal. Cela devenait dangereux. Enfin, à Saint-Jore, elle consentit à descendre.

Nous dinâmes l’un en face de l’autre, sans échanger une seule parole. Je pus observer à mon aise. Elle avait peut-être vingt ans. Sa figure était d’une beauté très délicate qui contrastait avec l’éclat sombre, presque sauvage, de ses yeux. Toute la physionomie exprimait l’énergie, la volonté, l’obstination. Mais il y avait un grand charme et de la douceur dans ses gestes.

Après le repas, elle se leva et me tendit la main.

— Je vous remercie… et je vous demande pardon. C’est beaucoup de mal que je vous ai donné, et je devrais au moins répondre à votre bonté par de la confiance. Mais cela ne m’est pas possible.

— Votre nom ? lui demandai-je.

— Je ne puis pas vous le dire… je ne puis rien vous dire.

Je m’inclinai. Elle se retira.