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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/241

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avait de grands yeux noirs, une voix qui me troublait, des gestes harmonieux, une âme grave et simple. Le reste, toutes ces questions mystérieuses et tragiques, j’avoue que si elles m’obsédaient parfois je ne songeais pas beaucoup à les lui poser. Comme elle je m’éloignais du passé mauvais, et j’avais, comme elle, l’impression d’entrer dans un monde nouveau où il n’y avait que du bonheur, de la paix… et de l’amour.

Journées admirables ! courses exaltantes à travers la France, la Suisse et l’Italie ! Heures inoubliables où nous prîmes aux plus belles villes leurs plus beaux sourires, aux plus vertes campagnes tout ce qu’elles ont de fraicheur, d’éclat et de pureté !

Elle fut l’amie exquise, elle fut l’amoureuse jeune et naïve. Un long et doux hiver s’écoula parmi les orangers et les palmiers. Puis, au printemps, nous repartîmes. Les larges routes claires nous accueillirent de nouveau, bordées d’agaves et de platanes, ou bien de peupliers et de saules. Nous étions heureux. Nous nous aimions. Elle était ma vie, ma vie tout entière.

Et soudain, un jour, elle jeta un cri d’épouvante. Depuis quelques minutes déjà j’avais arrêté et je l’observais anxieusement. En face de nous était le petit bois d’où elle avait surgi, l’année précédente. Qu’allait-elle dire en le voyant ? Qu’allait-elle faire ?

Sa pâleur m’effraya. Elle gémit, se tournant vers moi :

— Tu savais ? C’est volontairement…

— Oui.

— Pourquoi ?

Je lui pris la main et la fis descendre, puis je la conduisis à l’endroit même de la route, près des deux arbres entre lesquels elle avait passé.

— Il faut que je sache. Qui es-tu ? Je pardonne tout d’avance, j’admets tout… mais il faut que je sache avant d’unir ma vie à la tienne. Parle… Ne dois-tu pas être ma femme ?