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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/258

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Il avait eu un geste pour lui barrer le passage, mais elle s’était jetée sur la banquette et ne bougeait pas, suffoquée, les deux mains crispées à sa poitrine, comme si elle cherchait à comprimer les battements de son cœur. Elle était fort jolie, mais peut-être point, me sembla-t-il, de toute première jeunesse… à moins que ce ne fût son extrême émotion qui lui creusât ainsi la figure.

Il répéta avec une irritation visible :

— C’est de la folie. Quoi ? que prétendez-vous ?… Et lui, où est-il ?

Elle balbutia, la voix étranglée :

— En automobile… Après votre départ du château, j’ai prétexté une commission importante à vous donner pour ma mère, à Paris ; il m’a conduite à la gare… le train partait…

— Alors il vous a vue monter… il sait…

— Oui.

Il frappa du pied, incapable de dissimuler sa colère. La dame se mit à pleurer.

Il était clair que ma présence ne les gênait nullement et qu’ils se trouvaient dans une de ces situations où rien ne peut suspendre le cours de vos paroles ni vous distraire un instant du drame qui vous obsède.

— Non, non, s’écria le jeune homme, c’est trop ! J’étais parti… vous aviez accepté ce départ… eh bien…

Elle murmura :

— Je ne pouvais pas… Tout de suite cela m’a paru impossible… vous partir… non… j’ai perdu la tête…

— Et alors, maintenant ?

Elle lui prit la main avec un geste de passion.

— Maintenant, je ne vous quitterai pas… Comment pourrais-je revenir ? Il sait… je ne vous quitterai plus…

Il se dégagea vivement.

— Eh ! ma chère amie, tout cela est parfait… mais enfin… enfin… vous auriez dû…

Un accès de désespoir la courba. Elle sanglotait, la tête entre ses mains, et bégayait :