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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/271

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À Laguerche, M. Dorge s’inquiéta. Une route directe s’offrait pour Nevers. Elle la suivit d’abord, puis la quitta, et s’aventura dans les bois de Bourrain et des Ribaudières. Elle allait au hasard, flânait, se hâtait, ralentissait, montait des côtes à pied, en escaladait d’autres, et les plus dures, à bicyclette, s’abandonnait aux descentes, s’amusait enfin.

Et la voici maintenant qui roulait le long du canal latéral et retournait vers la Charité. Et elle roulait à une allure régulière et douce. Et durant une heure, deux heures presque, il la vit devant lui, petite silhouette légère qui glissait au bord de l’eau tranquille.

Il arriva loin derrière elle, exténué. Elle avait eu le temps de prendre son tub. Elle était fraîche et reposée. Il lui demanda :

— Eh bien, d’où viens-tu ?

— J’ai été par Sancergues jusqu’à Laguerche. Ce que j’ai vu de jolis châteaux ! Des merveilles ! Et le retour par le chemin de halage, c’était délicieux !

Donc, elle ne mentait pas. Elle parlait même avec une telle bonne foi, tant de naturel et de simplicité, qu’il eut la conviction soudaine et profonde qu’elle ne mentait jamais au sujet de ces promenades. Oui, elle se promenait bien, ainsi qu’elle le disait, par plaisir, par besoin de mouvement et de sensations neuves, par amour de la vitesse, de l’espace, du grand air.

Certes il mesura mieux que jamais l’abîme qui le séparait de sa femme. Les bonheurs qu’elle éprouvait lui étaient défendus. Leurs âmes vivaient dans des régions différentes, Germaine s’enthousiasmant pour des spectacles qui l’ennuyaient, lui, et palpitant d’émotion qu’il ne pouvait ressentir. Mais, tout de même, s’il était privé de ces joies, comme il les devinait bonnes, saines, généreuses, fortifiantes ! et comme il se réjouissait que Germaine en aimât la volupté !

Il eut envié de s’agenouiller devant elle et de lui demander pardon. Des larmes montaient à ses yeux, larmes de bonheur et d’espoir. Elle était très loin de lui, plus loin que jamais. Mais, par l’amour, n’arriverait-il point jusqu’à elle ?

Maurice LEBLANC.