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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/321

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Après un moment de stupeur, j’essuyai son visage. Elle me parut très belle en sa pâleur de morte. À l’arrangement de ses cheveux, à la délicatesse de ses formes, je jugeai que c’était une jeune fille. Aucun indice ne put m’indiquer son nom ni le lieu de sa demeure.

Sur la route il n’y avait personne. À l’horizon des campagnes personne. Je consultai ma carte, le plus proche village se trouvait à une lieue et demie. Je résolus d’y transporter la jeune fille.

Je la couvris de mon vêtement et me dirigeai vers l’automobile pour la ramener vers elle.

En toute hâte j’établis le contact et tournai la manivelle de mise en marche. Aucune explosion ne se produisit.

Durant dix minutes je m’acharnai. En vain. Je vérifiai les bougies, je réglai le trembleur, je cherchai toutes les causes possibles de panne, Cela dura bien une demi-heure. Quel supplice !

Et soudain, avant tourné la fête, j’aperçus le cheval qui broutait paisiblement auprès de la jeune fille. Et aussitôt une idée me frappa. Je n’hésitai point. D’ailleurs, il n’y avait pas d’autre parti à prendre.

La bride du cheval traînait à terre. Il se laissa approcher, puis conduire jusqu’à la voilure. À l’aide de cordes je l’y attelai.

Puis je revins vers la morte, la soulevai et, l’emportant dans mes bras, je la déposai sur le siège, sur l’unique siège qui se trouvait auprès du mien.

Ou, pour mieux dire, je l’y assis, un peu à la renverse, et solidement attachée, cela va de soi. Et nous partîmes…

Je m’efforce de tracer ces lignes d’une main qui ne tremble pas, Mais mon cœur tremble, lui, et je suis couvert de sueur rien qu’à l’évocation de cette promenade lugubre.

Nous allons, nous allons au petit pas. La selle au dos, la bête tire de biais. Je dirige, je retiens, je laisse aller. Ma compagne a l’air de dormir.