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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/347

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Mais tout d’abord je veux affirmer que ceci n’est pas un conte. Je relate simplement ce que j’ai vu moi-même, la semaine passée, vers onze heures et demie, À l’angle des deux avenues. Comment les journaux n’ont-ils pas parlé de cet accident ? Il y avait là cependant une matière à potins d’une saveur toute particulière. Je ne serais point surpris que leur silence eût été sollicité.

Donc, la rencontre se produisit. Elle fut violente. La voiture qui débouchait de l’avenue Malakoff, énorme et puissante, prit l’autre en écharpe, par le devant, la fit pirouetter, et alla s’échouer sur la pelouse opposée.

Tout cela parut l’affaire d’une seconde. Après le premier moment d’effroi, des promeneurs, des agents, se précipitèrent. On releva les deux mécaniciens, assez grièvement blessés, et on les emporta.

Tout de suite il fut constaté qu’il n’y avait personne dans la grosse voiture. Mais dans le landau électrique renversé au milieu de la chaussée ?

On s’approcha, sans trop d’appréhension, car l’avant seul avait été touché, et, d’autre part, on n’entendait aucun cri, aucune plainte. À moins de supposer que le choc eût étourdi la personne, ou les personnes enfermées…

La machine gisait sur le flanc, inanimée, morte. On regarda par la glace brisée.

Il y avait quelqu’un, une dame, une dame qui ne bougeait pas.

On organisa le sauvetage.

J’étais là, au premier rang des curieux. Près de moi, un monsieur dit :

— Je reconnais l’automobile : c’est celle de la duchesse de B…

Je la reconnus aussi. Chaque matin, la duchesse de B… passe et repasse sur l’avenue dans son landau.

Quand le temps le permet, ce landau est découvert, mais elle s’enveloppe en ce cas de voiles si épais qu’on ne peut discerner son visage.