Aller au contenu

Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je rêvais de l’humilier à mon tour et de prendre ma revanche par quelque moyen que ce fût. Ah ! la vaincre, la réduire, la briser comme une esclave, devenir son maître enfin, quelle joie !

Et un jour — vraiment je ne puis m’expliquer mon geste que par un coup de folie — un jour, malgré moi, après une scène plus violente, perdant la tête, je levai la main sur elle. Elle me regarda d’un air étrange que je n’oublierai jamais, avec une expression d’étonnement un peu dédaigneux, et très lentement elle vint à moi et m’empoigna à bras le corps, Et ce fut entre nous une lutte silencieuse, âpre, haineuse de ma part, implacable et grave de la sienne.

Tâtez mes muscles. Ils sont solides, n’est-ce pas ? Je suis dans la force de l’âge, robuste, nerveux, large de poitrine, carré sur ma base, hein, qu’en dites-vous ? Et, de plus, je vous jure que l’orgueil et la rage décuplaient mon énergie. Eh bien, elle me ploya en deux, me renversa, et avec un flegme de vieil athlète rompu aux assauts, sans à-coup, sans brusquerie, par le seul effort de ses muscles, elle me fit toucher les deux épaules…

Une heure après, je partais. Nous avons divorcé…

Maurice LEBLANC.