Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/367

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Mais tout cela, c’est éternellement la même chose. Il arrive un moment où l’on éprouve lesdites voluptés d’une façon mille fois moins intense, pour cette bonne raison qu’on les a déjà mille fois éprouvées. La vérité est qu’on n’y pense plus. Le corps peut se réjouir, mais non plus l’âme. La joie est devenue inconsciente, inexistante. Soyons franc ! On s’embête.

Ou du moins on s’embêterait s’il n’y avait pas la crainte sourde et vivifiante de la panne. Mais il y a cette crainte, mais il y a la panne elle-même, et tout est bien.

— Mais enfin, m’écriai-je, qu’y trouvez-vous donc de si extraordinaire ?

— L’imprévu, déclara Angesty d’une voix grave, c’est-à-dire la possibilité des événements les plus adorables, les plus baroques, les plus fous, les plus tristes, les plus joyeux, enfin les plus inattendus. Une panne survient ? On ne sait jamais, vous entendez, jamais, ce qui va Se produire.

— Mais si, on cherche la cause, on la trouve, et l’on repart.

— Ou bien on ne la trouve pas, et on ne repart point. Et alors survient l’imprévu.

— Quel imprévu ?

— Est-ce que je sais, moi ? Il y a l’aventure romanesque : on est recueilli, comme je l’ai été, par une dame qui passe, et… vous devinez la suite. Il y a l’aventure douloureuse : un confrère, qui a pitié de vous, s’arrête, vous offre son concours, réussit, et s’en va sur votre automobile, vous laissant la sienne, un clou. Il y a…

À cet instant précis notre voiture ralentit brusquement. Le moteur eut des bruits inquiétants. Cent mètres plus loin, entraînés par un reste d’élan qui s’affaiblissait à chaque tour de roue, nous expirions au bord du chemin,