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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/380

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Une troisième fois elle le vit, ou plutôt elle le devina, car malgré toutes les précautions, de la poussière surgissait du sol ou se détachait des talus voisins. Le virage fut exécuté à une allure vertigineuse. Il était loin déjà quand elle eut conscience qu’il n’y avait plus de danger.

Et des minutes interminables s’écoulèrent, trente, quarante, soixante… Catherine ne vivait plus. Il lui semblait que son existence était suspendue et que son cœur ne recommencerait pas à battre avant qu’elle ne pressât son mari contre elle.

Grémain, Girardy passèrent. Puis ce serait Vermont, lequel, au dernier tour, précédait Danjou. Et Vermont passa. Donc quelques instants encore, et…

— Danjou ! Danjou !

Autour d’elle, des exclamations soudaines s’élevèrent. Danjou ! Et, de fait, au débouché d’un vallon boisé, une voiture apparaissait, enveloppée d’un petit nuage. Elle grandit, s’approcha.

Cinq cents mètres la séparaient du virage d’Abur, situé lui-même à dix-huit cent mères du but. C’était le triomphe certain. À moins que… au virage…

Une telle souffrance envahit Catherine qu’elle eut envie de se jeter sur la route au passage de la voiture, et de mourir avec celui qu’elle aimait.

Elle ferma les yeux. Elle se boucha les oreilles. Elle se courba, la tête entre les mains. Non, elle ne voulait pas entendre le bruit infernal. Non, elle ne voulait pas voir ce qui allait se produire, ce qui se produisait…

Elle entendit quand même. Un grand cri, des cris encore, toute une rumeur… Elle ouvrit les yeux.