Aller au contenu

Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est à ce ménage assoupi, sans ambition ni désir, qu’un parent éloigné, M. Libertin, auquel ils allaient rendre visite tous les premiers de l’an, légua — par quelle attention ironique ! — une petite voiture automobile Ducollet, de huit chevaux, presque neuve.

« Et ils ne pourront la revendre, ajoutait une clause du testament, avant d’avoir effectué le voyage de Paris-Brest et retour, sur ladite automobile, seuls, sans mécanicien. »

Six mois après, un matin, M. Duroseau et sa femme, Bertrande, partaient d’un garage de la Porte Maillot. Est-il besoin de dire qu’ils partaient à contrecœur et avec les plus noirs pressentiments ? On ne se lance pas sans appréhension dans une aventure aussi périlleuse.

Mais la nécessité, une inflexible et cruelle nécessité, les contraignait. Farouchement résolus à se débarrasser de leur automobile et à toucher ainsi les trois ou quatre mille francs que cette vente représentait, ils avaient bien été obligés de se plier à la condition imposée : accomplir ce voyage, ce formidable voyage.

Non point que M. Duroseau s’effrayât beaucoup des difficultés mécaniques qu’il aurait à résoudre. Quand on est accoutumé au maniement quotidien des jouets pour enfants, quand on sait démonter, réparer et remonter ces organismes délicats que sont les tramways et les chemins de fer en boîte, on n’est pas plus bête qu’un autre. Mais ce qu’il y avait de redoutable, c’étaient les péripéties d’un voyage, le changement d’habitudes, l’absence, la vie déréglée, les fatigues surhumaines, tout ce qu’il y à d’imprévu le long des grandes routes.

— Il s’agit de cinq mille francs, Duroseau répétait de temps à autre Bertrande.

Et cette idée suffisait à réconforter M. Duroseau.