Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Le docteur est un esprit trop avisé et un psychologue trop fin pour ne pas profiter de l’aide que je lui apporte. Il maintient Thérèse dans une certaine inquiétude à mon égard. Il lui recommande de surveiller mon repos, de m’éviter toute excitation nerveuse. Bref, il joue avec ce grand ressort qu’est, chez la femme, l’instinct du dévouement. Grâce à lui, Thérèse a la conviction qu’elle se dévoue à mon salut. Elle est donc sauvée.

— Et si, un soir, lui dis-je, elle s’avisait d’ouvrir sa fenêtre au moment où vous dégringolez le long de votre terrasse, que penserait-elle ?

Il me regarda en riant.

— Ah ! vous avez surpris… Eh bien, oui. Mais ce n’est pas ce que vous croyez. Non, c’est uniquement pour me dégourdir les jambes. N’oublions pas que je me porte à merveille, moi, et que l’exercice m’est indispensable. Alors, je marche, je cours. Ma bicyclette m’attend à Montreux, et je file jusqu’à Lausanne, jusqu’à Nyon. Ou bien j’escalade les montagnes, je vais à Caux, j’atteins les Avants. Enfin, je me dépense, j’use l’excès de mes forces, je me fatigue le plus que je peux, de manière à ce que le repos du jour ne me soit pas trop pénible. Que voulez-vous ! pour un homme de ma trempe, ce n’est pas précisément récréatif de rester étendu sur une chaise-longue, et je vous jure qu’il y a des heures où je m’ennuie considérablement. Seulement, voilà, j’aime Thérèse.

Je lui dis avec un peu d’émotion :

— Vous savez, Marcillan, c’est très beau ce que vous faites là.

— Bah ! s’écria-t-il, tout est facile quand on aime. Et puis, quoi, dans la vie, il s’agit d’avoir bon cœur. N’est-il pas juste, puisque Thérèse porte le fardeau de la maladie, que ce soit moi qui joue le rôle du malade ? Combien l’existence serait plus lourde pour elle, si elle savait que le Sacrifice est de mon côté !

Et il ajouta :

— Voyez-vous, il ne faut point montrer sa force à ceux qui sont faibles, pas plus que ses richesses aux misérables, et son bonheur aux malheureux…

Maurice LEBLANC.