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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/396

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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

UN PROPRE À RIEN

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Durant deux lustres, M. Lesuper, professeur de quatrième à Saint-Jore, fils et petit-fils d’universitaires, eut périodiquement une stupéfaction douloureuse : son fils, Horace Lesuper, remportait chaque année le prix de gymnastique.

Il ne remportait d’ailleurs que celui-là, étant farouchement rebelle à toute étude, littéraire, scientifique ou autre. Vainement, M. Lesuper multipliait-il les répétitions et les conseils, Horace s’acharnait à rester le dernier dans toutes les classes qu’il suivait.

Mais, en gymnastique, il n’avait point de rival, et la gloire que lui valaient auprès de ses camarades son adresse à tous les exercices du corps et sa supériorité dans tous les jeux compensait grandement à ses yeux les reproches humiliants qu’il subissait au foyer paternel.

M. Lesuper n’en revenait pas. Que signifiait cela ? On est premier en version grecque ou en thème latin, voire même, ce qui est d’un degré inférieur, en mathématiques ou en chimie. Mais premier en gymnastique, qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que Thucydide ou Cicéron ont laissé dans l’histoire la moindre trace de leurs aptitudes athlétiques ? Il importe peu que Corneille ait eu du souffle et du jarret. Il a écrit le Cid : c’est suffisant.

M. Lesuper finit par éprouver pour son fils le plus profond mépris. Un garçon qui ne se distingue que par son biceps restera toute sa vie un propre à rien. La source des vertus réside dans les livres à l’usage des écoliers. Celui qui sait la règle du « que retranché » et traduit le Conciones avec un dictionnaire peut prétendre à tout. Horace serait un fainéant, capable de tous les méfaits.