Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/411

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Il rit, et c’était atroce de l’entendre ce rire, un rire haineux, le rire de l’envie, le rire de celui qui ne peut pas contre celui qui peut, le rire du disgracié, le rire du paria, le rire du damné.

Je balbutiai, mal à l’aise devant lui :

— Eh bien, si je vous y reprends !…

Il éclata de rire, me tourna le dos, et s’en alla…

En l’espace de cinq ans, il m’arriva trois fois encore de crever aux environs de Paris — dans la côte de Suresnes, — dans l’allée des Érables, — autour du lac Supérieur, — et chaque fois j’entendis l’affreux rire de l’estropié.

Et les six fois, ce fut la même sorte de clou que je retrouvai figé dans l’enveloppe de mon pneumatique, un clou à sabot, à tête carrée.

Cette année, en juillet, je revenais d’Alsace en automobile. Je couchai à Nancy. Le lendemain matin, je repartis de bonne heure.

Sur la route, je trouvai toutes les villes, tous les villages pleins d’animation et de gaîté. Il y avait des drapeaux, des arcs de triomphe. On attendait les « Tour de France ». C’était la première étape, Paris-Nancy.

À mesure que j’avançais, les curieux se massaient en groupes plus compacts. Puis je croisai des automobiles, puis des cyclistes, les coureurs de tête.

Et c’est alors que je rencontrai les premières victimes.

Je vis Clergy, un des meilleurs, et qui pouvait espérer à bon droit une des premières places, sur le bord du chemin, il réparait sa chambre à air. On