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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/421

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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

VERS LA VIE

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Le jour où je résolus de me tuer… Et, en vérité, pouvais-je faire autrement, ayant perdu à la fois ma femme, mon meilleur ami et ma fortune ? Soyez sûrs que beaucoup à ma place en seraient devenus fous. Un moment même j’ai eu peur… Je souffrais trop… ma tête s’en allait, et je voyais bien, au visage étonné des gens qui m’écoutaient, que l’on se demandait si j’avais toute ma raison.

Je l’ai, toute ma raison. Il faut l’avoir pour se résoudre à la mort avec un tel sang-froid et une volonté si claire. Je m’y résolus donc, et, tout de suite, mon genre de suicide se précisa, inéluctable et logique. Un homme de sport comme moi ne pouvait mourir que par accident sportif. Un vieux chauffeur de ma trempe ne pouvait mourir que par l’automobile.

Et cela devait se produire immédiatement. J’avais un tel dégoût de la vie ! Oh ! l’abominable vie, méchante, sournoise, perfide, sinistre ! Vraiment, ce serait lui jouer un bon tour que de lui fausser compagnie, alors qu’elle me réservait encore tant de larmes et de profondes blessures.

Et je sortis de ma triste mansarde…

Les Champs-Élysées !… Ils étaient éblouissants de soleil et de gaieté. Parfait ! Mon cadavre ne ferait pas mal dans ce milieu d’élégance. Les belles dames en pâliraient d’effroi. Du sang, du sang sur leur avenue !