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Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/426

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— Je sais, je sais. Mais laissez-moi vous dire que nous avons construit une voiture qui, théoriquement et pratiquement, est imbattable. En vous choisissant nous écartons la seule possibilité de défaite : la malchance.

Théroult se leva, prit un journal dans un tiroir, et prononça :

— Monsieur Brasil, voici ce que je répondais, il y a deux ans, à un rédacteur de l’Auto :

« Voyons, réfléchissez un peu. À courir j’ai tout à perdre, peu à gagner. Côté gain, il n’y a que la question d’argent, et encore à condition de continuer la passe de quatre pas ordinaire que j’ai eu la veine de réussir.

« Côté perte, j’ai d’abord un avantage énorme à rester sur mes lauriers, c’est évident, puisqu’ainsi je laisse debout un record qu’on ne battra peut-être jamais. Mais, allez-vous me dire, ça c’est de la gloire, et au fond vous devez avoir couru pour autre chose ? Le fait est que la gloire je m’en « bats l’œil », comme on dit dans le grand monde. Le principal, c’est encore la galette. Or, aujourd’hui que me voilà riche, que j’ai une brave bourgeoise que j’aime et qui me le rend, pourquoi voulez-vous que j’aille me casser le cou, et ainsi ne pas profiter de ce que j’ai gagné ? »

M. Brasil se leva, et, les yeux dans les yeux, lui dit :

— La somme que nous vous offrons vous décidera peut-être.

— En vérité ! Et cette somme est de… ?

— Cent mille francs.

Théroult tressaillit, puis ricana :

— Oui, si j’arrive premier, c’est-à-dire si je marche comme un fou… Mais combien, si je n’arrive que second, ou troisième, ou si je reste en panne ?

— Cent mille.

— Je ne comprends pas.

— Nous vous offrons cent mille francs pour courir, sans nous occuper de la place que vous prendrez. Réfléchissez. Cent mille francs rien que pour courir !